vendredi 5 janvier 2018

DEUX FRERES : ALI BAB

J’ai envie de parler des frères Babinski.. Les médecins savent de quoi on parle : le signe de Babinski qui consiste à gratter la plante du pied pour obtenir un réflexe est un signe diagnostique universel. Inventé par Joseph Babinski, l’un des très grands neurologues de la Belle Epoque.

Joseph était le petit frère d’Henri. Pas un con, l’aîné. Ingénieur des Mines et passionné de cuisine. Vu son boulot, Henri Babinski parcourait le monde pour y trouver des mines rentables. Mais sa vraie passion était la bouffe. Partout, de l’Afrique à la Sibérie, Henri étudie les produits utilisés en cuisine. Excellent géologue, magnifique pédologue, il sait tout de leur terrain. Il interroge les cuisiniers, il adapte plus qu’il n’adopte. Il passe beaucoup de temps avec le magnifique gastronome qu’était Edouard de Pomiane, également d’origine polonaise.

Les deux frères vivent ensemble et sont célibataires. Joseph fait une carrière médicale impeccable et d’abord comme l’élève préféré de Charcot. Le grand frère s’occupe de sa carrière, par exemple, en organisant des dîners où il teste les recettes qu’il invente sans relâche. Henri Babinski met toutes ses connaissances scientifiques au service de sa passion. Au point qu’on finit par lui proposer de publier. Ce sera Gastronomie pratique, l’un des monuments de la littérature gastronomique française. Toujours disponible et toujours réédité avec ses 1000 pages et l’additif pour lutter contre l’obésité.

Mais Henri choisit un pseudonyme. Quand son livre sort, Joseph est l’une des sommités de la médecine française et membre de l’Académie de Médecine. Et donc Henri, ne veut pas abîmer le nom de Babinski avec une chose aussi vulgaire qu’un livre de cuisine. C’est à ces détails qu’on voit qu’une société a changé. Le livre sera signé d’un de ses surnoms : Ali Bab. Bab, pour Babinski.

J’ai une grande tendresse pour Henri Babinski… Scientifique de haut niveau, il a mis son savoir au service de sa passion : manger. Il a eu la modestie de ne pas confondre : un cuisinier n’est pas un phare. Je pense à lui chaque fois que je vois les médiocres s’installer dans les lucarnes pour tenir un discours magistral que leur parcours ne justifie pas. L’un des surnoms d’Henri était « le gros ». Par opposition à son frère, ça va de soi.

Henri Babinski savait que le système éducatif français permet, non pas de juger, mais d‘estimer les gens dans un champ épistémologique donné. En son temps, la gastronomie n’était pas un champ épistémologique valide, mais il était en construction. Aux côtés d’Ali Bab, on retrouvait sur le chantier son ami Edouard de Pomiane, par ailleurs chercheur à l‘Institut Pasteur, et auteur d’un livre sur la cuisine des restrictions.

D’où la question : faut il avoir fait une grande école pour parler de bouffe ? La réponse va de soi. Une formation universitaire permet de critiquer les sources, de juger des arguments, de se livrer à un travail de connaissance que les naïfs ne savent pas faire. Il ne s’agit pas de cuisiniers mais de ceux qui jugent les cuisiniers. Trop heureux d’arborer des mots et des savoirs hypothétiques que rien n’étaye, trop heureux d’enfiler les perles du discours, trop heureux d’avoir des « followers » sans valeur. Mais d’en avoir beaucoup sans percevoir que zéro multiplié reste égal à zéro.

Aux temps heureux du structuralisme, la question était : d’où tu parles, toi ?

De nulle part, le plus souvent.  Et c’est ça le problème.


On en reparlera.

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