mercredi 16 août 2017

TOURISTES, NATURE ET CULTURE

Bayonne, Porte d’Espgne. Ils sont six, c’est une petite rondouillarde qui parle :

« Ouah, c’est juste trop beau… On va faire une vidéo, on part de là, on suit là… »

Je peux pas m’empêcher :

« Vous laisserez une pièce pour le décorateur ? »

Etonnement, stupéfaction. Le décorateur ? Quel décorateur ? Ben le mec ou les mecs qui entretiennent le décor, qui le nettoient, qui mettent des fleurs dans les vasques. En général, on dit le contribuable. Les gamins, ils me comprennent pas bien. Je suis obligé de faire le vieux con pédagogue. De leur dire que depuis que ça a été construit, il a bien fallu entretenir, reconstruire des fois, réparer, repeindre les volets, entretenir les plantations, bref, dépenser des sous pour le décor de leur vidéo dont ils seront si fiers sur Fesse de Bouc. Ben oui, mais ça vous rapporte. A moi ? Non, ça me coûte. Comme à mon père, à mon grand père, à tous mes aïeux (17 générations dans la même ville, ça fait des sous en euro constants). Les mômes, ils sont dans un camping sur la côte landaise, ils fastfoudent non loin de la guitoune, ils trouvent que le Pays basque c’est pas cher. Ben, quand tu payes pas, c’est jamais cher. Bon, on est chez les rats..On connaît.

Par contre (non, en revanche, juste pour Cécile), ce qui me troue le cul, c’est qu’ils puissent imaginer qu’une ville historique ne coûtait rien. Ben oui, c’est construit, c’est construit…Comme une forêt. Ben non, dans une forêt, y’a des gens qui travaillent, qui coupent des arbres, qui en replantent, qui nettoient. Une forêt aussi ça coûte. Et même un champ. Des que des hommes travaillent, ça coûte. Pour que tu puisses faire ta belle photo qui te vaudra l’admiration des amateurs de cartes postales, de l’argent est dépensé et c’est même pas par toi. Tu prends. Qu’est ce que donnes en échange ? Et surtout en équivalence ? Nous, on te donne de l’histoire, de la beauté, du savoir. Toi, tu crois que le fric suffit. Je repense à ce brave Café qui avait viré un mec de son bistro en lui disant : « Tu m’as acheté un verre, tu l’as eu. Tu n’as pas acheté mon amitié, mon attention, mon goût pour Pradera. Alors, ton verre, je te l’offre et tu dégages ».

A force de faire du fric l’étalon des relations humaines, on en est là. Tout ce qui fait la réalité d’un paysage, les générations qui se sont suivies, les gens qui ont cherché à mieux faire, tout ça est gommé. Le voyageur est devenu touriste, c’est à dire consommateur d’émotions, pas de savoir. Avec un consumérisme arrogant, où on rogne sur tout, sauf sur les stéréotypes. On explique à l’indigène ce qu’il doit penser et savoir de son pays, mais on refuse de payer ce qu’offre ce pays.

Trente ans que je suis dans le tourisme. Mon premier Guide Bleu, je l’ai écrit en 1981. Aujourd’hui, on fait confiance au Petit Futé. Et parfois, à pire. Le niveau moyen de l’information touristique, c’est un catalogue de tour operator. Pas qu’ils soient tous mauvais. Mais aucun n’est bon, aucun ne met en avant ces deux mamelles de l’écriture touristique : la géographie et l’histoire. Là, ça commence à coincer. L’indigène se rebiffe. Quand l’allochtone permettait à son village de vivre, de préserver des maisons, de maintenir des emplois, l’indigène acceptait  les nuisances. C’est fini. Le touriste fréquente les épiceries qu’il connaît, les magasins qu’il a chez lui. La vague des nuisances engloutit la plage des bénéfices.

Pire encore, on transforme les lieux touristiques en berceaux de domestiques. On ne forme plus pour créer ou pour inventer, on forme pour servir. Servir est une activité noble quand le servi ennoblit son serviteur. Mais quel ennoblissement attendre de la plupart des servis ? Ils ne trouveront jamais Vatel chez McDonald


On en reparlera….

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