mercredi 18 mars 2015

FESTIVALS

C’est la crise. Les subventions s’évaporent comme glaciers tibétains et ne vont plus irriguer quelques centaines de festivals. Le monde de la culture est en émoi, il parle de mort.

Tout d’abord, la culture ne meurt jamais. Son influence peut diminuer, mais il y a toujours des gens pour la conserver. C’est plus souvent des directeurs de recherche que des concierges, mais ça importe peu : elle continue d’exister.

D’autre part, il ne vient à l’idée de personne ne regarder le lien entre un festival et son territoire, alors que c’est ce lien qui donne la légitimité au festival. Quand Estella organise un Festival de musique juive sépharade, il y a une cohérence entre la ville et le festival qu’elle abrite et finance. Bien entendu, quand Bayreuth honore Wagner, il y a également cohérence.

Il y a quelques années, nous avions, dans ma ville préférée, un festival de Jazz. Il faudra m’expliquer le lien. En été, il y a en France des dizaines de festivals de jazz. C’est une logique économique. Les tourneurs récupèrent quelques dizaines d’artistes américains désireux de passer l’été en Europe, les organisateurs passent dans les rayons et achètent des soirées. Le plus souvent, les villes organisatrices n’ont aucun lien avec le jazz ni même avec les USA. C’est juste un spectacle. Où est la culture qui n’existe pas sans le sens de l’histoire ? Dans les goûts personnels des organisateurs ou dans ceux du Maire qui finance la soirée ? C’est un peu court comme raison.

Un festival n’est pas une promenade dans l’espace, mais une plongée dans le temps. Il ne peut se concevoir sans vision historique ancrée dans le territoire qui l’abrite : une abbaye peut abriter un festival grégorien qui n’a rien à faire dans une zone industrielle. Et à cet égard, l’imagination est faible. J’ai vainement cherché un festival de musiques prolétariennes par exemple. Pourtant, on a un paquet d’anciennes citadelles ouvrières qui pourraient s’en charger : il faut et il suffit de travailler un peu, d’aller chercher dans les répertoires, se poser les bonnes questions : que chantaient les canuts lyonnais quand ils cassaient les machines de Jacquard ? Car ils chantaient, personne ne peut en douter. Le peuple heureux chante toujours.

Travailler. C’est le mot qui fâche. Le monde de la culture travaille de moins en moins. L’histoire culturelle de notre pays reste en friche. Les musiques oubliées ne sont jamais remises à l’honneur, les compositeurs disparus ne sont jamais exhumés, les partitions oubliées ne sont jamais lues. Encore faut il savoir les lire. Nous vivons un temps où la musique n’est plus qu’exécution (et parfois, le terme prend tout ses sens).

Le travail est fait, pourtant. Dans les Universités, dans les laboratoires
de recherche. Mais il est dévalorisé car il ne concerne qu’une petite partie de la population. Il n’est pas « populaire ». Ce qui signifie que le peuple ne peut pas en profiter.

Les organisateurs ne se posent qu’une question : comment attirer le plus de monde possible ? Il faut de grosses machines, des Francofolies ou des Printemps de Bourges. Sauf que la culture nécessite une vision de Longue Traîne, une obsession de la niche. Le Festival d’Estella draine des passionnés de musique juive du monde entier. J’admets qu’ils sont moins nombreux que les groupies de Beyoncé. Mais ils sont plus fidèles et se renouvellent année après année.

Finalement, un Maire ne se posera qu’une question : qu’est ce que ça va apporter à ma ville ? Et dans la question, « à ma ville » est essentiel. Un petit festival ne peut pas avoir de visée universelle. Qu’il donne aux habitants la fierté d’avoir une histoire culturelle, qu’il attire l’attention des spécialistes (qui malgré leur savoir ne peuvent pas tout savoir), qu’il témoigne de racines, est bien suffisant. En fait, il faut et il suffit qu’il ne puisse pas avoir lieu ailleurs. Imagine t’on le Festival Interceltique à Strasbourg ?

Je n’ai pas regardé en détail la liste des festivals menacés de disparition, mais j’imagine sans peine qu’un gros paquet n’était pas organisé dans son biotope. Car il y a un biotope des pratiques culturelles. Même si c’est souvent approximatif, comme à Dax où on organise un festival Toros y Salsas, avec cette salsa cubaine qui voisine avec un toro pratiquement absent de Cuba. On y verra un lieu d’hispanité, compatible avec la vie dacquoise mais difficilement reproductible à Clermont-Ferrand.

Le biotope culturel, c’est ce mélange de pratiques anciennes, d’adoptions contemporaines, d’accent et de gastronomie. Souvent le citoyen de base ne se reconnaît pas dans la thématique d’un festival. « Qu’est ce que ça fout chez moi ? » se demande t-il.

Mais on le sait désormais : le citoyen de base a une vision étroite. La vision d’un territoire justement.

On en reparlera…

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