samedi 13 septembre 2014

LA GUEULE ET LE TROU DU CUL

C’est un truc qui me trottait dans la tête. Un signe pertinent. Ce sont les seuls qui m’intéressent.

Il existe une sorte de trophée des meilleurs cuisiniers du monde. Ça vous sort une liste des 50 meilleurs restaurants around the world. Et ce machin est sponsorisé par une marque d’eau !!!

Ceci devrait nous entrainer à sourire, puis à douter et enfin à rejeter.

Manger, c’est un acte de jouissance, un acte de fête, et manger au restaurant doit marquer une rupture avec la monotonie du quotidien. En banquetant, on rejoint la cohorte de tous ceux qui, au fil des siècles, se sont réunis pour ripailler, se goberger, rigoler et mettre la main au cul des servantes. Manger est un acte païen, rustique et festif. Se mettre à table n’est pas le fait des culs serrés. Sauf à bouffer un brouet d’orties dans le réfectoire d’un monastère chartreux. Mais là, on ne mange pas. On survit.

Effectivement, pour survivre, il faut de l’eau. Pour déconner, pour se lâcher, pour que le plaisir apparaisse, se développe, éclate en éructations satisfaites et en vagues de rires, il faut d’autres breuvages.

Nous vivons désormais les temps de la manducation sinistre. On mange pour pouvoir parler de ce qu’on mange et comme on ne sait rien (ou pas grand chose) des produits que l’on mange et des techniques à mettre en œuvre, on utilise la nourriture comme sujet de réflexion. On juge des résultats sans rien savoir des moyens de l’atteindre, ce qui distingue le critique gastronomique du chroniqueur sportif qui sait, lui, que Dupont a eu des lacunes à l’entrainement ou que le « coach » n’avait pas choisi la bonne formule pour permettre à Tartemolle de montrer son talent. Et donc, on philosophe, on se tient raide sur des chaises encore plus raides. Bouffer est devenu une activité intellectuelle. D’ailleurs, personne ne bouffe plus. On goûte, on déguste, on affine et on affirme. On se croit distingué parce qu’on s’emmerde. Et on boit de l’eau.

Bouffer est devenu une activité intellectuelle depuis qu’on fréquente plus les restaurants que les librairies. Les premiers se multiplient, les secondes disparaissent. Il ne vient plus à l’idée de personne que, pour la pensée, on a les livres, pas les assiettes. Tiens, je viens de retrouver un menu du Fouquet’s. Le 15 novembre 1958, on y servait des poulardes de Bresse Albuféra, des beignets de cervelle Orly ou de la noix de ris de veau braisé. J’ai été invité au Fouquet’s il y a quelques semaines. Il m’est apparu évident qu’on ne pouvait plus servir de cervelle à une clientèle qui, à l’évidence, ignorait l’existence de la chose ou son utilisation. J’aurais préféré dîner avec Montaigne qui raconte qu’il est tellement avide qu’il se mord les doigts quand il mange (car il mange avec les doigts, bien entendu).

Nous vivons dans la confusion la plus totale. Manger, ce n’est pas aimer, ni penser, ni rien d’autre que se remplir la panse, la gueule grande ouverte et le trou du cul soumis à la pression provoquée par l’accumulation des aliments. Oui, je regrette les repas qui duraient quatre heures. Minimum. Les repas où on n’appelait pas les diététiciens au secours, mais, éventuellement, les médecins pour l’apoplexie finale.

Je ne retrouve plus ces impressions qu’avec mes amis chinois. Pour un Chinois, manger, c’est pas rien. Un repas à douze plats, ce n’est pas rare. Et on ne boit pas de l’eau. Ou du thé. On bâfre, on se goinfre, on se porte des toasts, on se finit au maotaï. Bref, on vit. On prend du plaisir ensemble, on se respecte, on s’honore. Ce qui n’empêche pas de travailler sérieusement. Ni de pratiquer les croisements culturels. Ça aussi, on devrait y réfléchir. Nous, on a adopté le tofu et la soupe au miso. Eux ils ont déjà inventé les nems au foie gras. Pour vous dire qu’ils nous ont pas piqué le bouillon de légumes et les carottes râpées.

En fait, on est toujours aussi nuls en géographie et on confond toujours la Chine et le Japon. Quand je vois un zozo comme Thierry Marx s’exciter sur le sushi…Il ferait mieux d’aller au Shaanxi goûter les languettes de filet mignon de porc servies en beignets sucrés. Ou les aubergines pimentées du Sichuan. Tous nos chefs bossent en pensant aux Japonais. Etonnez vous après ça que les Chinois nous boudent. La seule qui ait un avenir en Chine, c’est Maïté…. Je comprends pas qu’elle n’y soit pas déjà….

C’est peut être pour ça que nos hommes d’affaires sont si nuls sur le marché chinois. Plutôt que d’avoir la gueule ouverte, ils ont le trou du cul serré.

Quant aux 50 meilleurs restaurants de l’eau gazeuse, ils sont majoritairement nordiques et luthériens. Hé ! les mecs ! on bouffe pas pour aller au Paradis. C’est même le contraire… Demandez à Philippe d’Orléans.

Bouffer doit être excessif. Vivre excessivement. Travailler excessivement. Déconner excessivement. Pécher excessivement.

Amen…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire