samedi 12 octobre 2013

LETTRE OUVERTE A ELAINE SCIOLINO

Je viens, Madame, de finir votre livre sur la séduction « à la française ». Souvenez vous, celui que vous m’avez offert après une conversation légère dans la librairie que je tenais alors.

Il y a à dire, encore que votre travail soit plutôt sérieux pour une journaliste. Sérieux au point de nous infliger une insipide bibliographie de 10 pages. Vous n’avez pas assimilé l’art français de la conversation : une bibliographie pour un livre sur la séduction, c’est un peu lourd. Et puis, Madame, 10 pages, c’est trop ou trop peu. Vous y montrez plus vos lacunes que vos connaissances. Eternel défaut des journalistes qui se veulent aussi sérieux que les universitaires qu’ils ne lisent pas.

Je vous ai lue avec soin. J’avais en mémoire l’éclat de vos yeux quand nous parlions et je pensais que vous maîtrisiez votre sujet. Indubitablement, vous savez séduire. Seulement, voilà : l’écriture est-elle la meilleure forme pour le discours séducteur ? J’ai vite compris que le regard était Sciolino et la plume Elaine (et non Elena). La gracieuse Italienne a fait ses classes aux USA, le pays qui a remplacé mon ami Peppino par Pizza Hut.

Il y a un nom qui manque absolument dans votre livre et c’est celui de Cyrano. Il est vrai que la France semble en avoir honte, sauf peut-être Dominique de V. Je crois, Madame, que si vous ne comprenez pas et n’aimez pas Cyrano vous n’aimerez jamais et jamais ne comprendrez la France. Cyrano, c’est la dimension du panache, du goût pour les mots, de l’indifférence aux biens matériels, de la séduction qui se cache et des sentiments que l’on voile de pudeur car il est vulgaire de montrer ses sentiments à tout un chacun.

Ceci est bien loin de la pensée américaine, fondée sur le nombre et la quantité. J’en ai déjà parlé : http://rchabaud.blogspot.fr/2011/12/correlation-et-causalite.html. Cette pensée, purement statistique n’est pas une pensée. Raison pour laquelle elle a tant de succès. N’importe qui peut jouer avec des statistiques, comprendre une courbe de Gauss et croire qu’il réfléchit. Surtout, elle est l’une des bases de ce que l’on appelle le pragmatisme et dont les Anglo-Saxons sont si fiers. Mais les causes sont plus subtiles et ce que vous appelez la séduction n’est rien d’autre qu’une réflexion subtile enrichie par l’Histoire. Encore faut-il avoir une Histoire et les deux petits siècles de l’Histoire américaine sont un peu courts. Boorstin l’a magnifiquement montré.

Puisque vous aimez les anecdotes, je vais vous raconter le jour où j’ai compris que nous étions inconciliables. C’était non loin de la Nouvelle-Orléans. Un énorme panneau publicitaire annonçait « The greatest oyster restaurant in the world ». Français jusqu’au bout des ongles, j’ai immédiatement imaginé un restaurant où je pourrais déguster des huitre de toute provenance, le plus grand choix du monde, des plates de Bretagne et des creuses du Japon, de grasses galiciennes et de goûteuses vietnamiennes. Erreur ! Grand, il l’était, plus de mille mètres carrés. Mais il ne servait que de fades, vaseuses et lourdes huitres des bayous louisianais. Comment imaginer qu’un restaurant fasse sa publicité sur sa taille et non sur ses compétences gastronomiques ? Nous n’avons décidément pas les mêmes valeurs. Et vous nous avez contaminés (http://rchabaud.blogspot.fr/2011/08/manger-et-chier.html)

Vous avez fait un gros travail. Vous n’omettez rien. Certes, nous n’avons pas les mêmes références. Savoy est un grand cuisinier, mais il en est d’autres, notamment en province. Car votre travail est complètement Parisien. Même vos escapades à Grasse se terminent au Faubourg Saint-Honoré. Villon le disait : Il n’est bon bec que de Paris. Avait-il raison ? Paris n’est pas la France, elle en est peut-être l’antiphrase. Songez à ceci : de tous nos Présidents, Sarkozy était le seul à n’avoir aucun ancrage en province. Il l’a payé cher.

Votre livre a été écrit pour essayer de faire aimer la France aux Américains et l’intention en est louable. Sauf que c’est sans espoir. Les Américains pensent que la France leur doit sa liberté. Peut-être. Mais l’Amérique doit à la France son existence : sans Lafayette, Rochambeau et quelques autres, elle n’existerait pas. Cette dette est immense et imprescriptible et les GI morts en Normandie ne suffisent pas à l’éteindre. Rien ne suffira jamais à l’éteindre. Les USA nous ont aidé comme un enfant aide sa mère. Rien de plus, rien de moins.

Nous avons des difficultés avec les langues ? Bien sûr que non. J’ai été member of the board d’une association internationale de cartographes où tous les échanges étaient en anglais et je m’en suis bien sorti. Mais je n’en tire aucune vanité. Au contraire. J’en ai plutôt honte (http://rchabaud.blogspot.fr/2013/02/do-you-speak-french.html). Nos échanges manquaient de hauteur. Il est vrai que tout nous tirait vers le commerce.

En refermant votre livre, j’étais triste en fait. Triste qu’une Italo-Américaine soit tellement américaine et si peu italienne. Il n’aura pas fallu longtemps pour que la gomme anglo-saxonne efface Raphael et Vinci. Anecdote encore : je ne sais quel journaliste français s’offusquait que la Smithsonian Institution expose un tableau de Vinci avec ce slogan : Venez voir un tableau à 5 millions de dollars, sans même donner le nom de Léonard. A quoi le conservateur lui a répliqué : personne ne sait qui est Vinci mais tout le monde sait ce que sont cinq millions de dollars.

Quand le fossé (le gap) est à ce niveau, il est inutile de chercher à construire des passerelles. Et j’admire que vous ayez essayé. Les Américains ne nous aiment pas ? Tant pis pour eux, la séduction ne consiste pas à se faire aimer de tout le monde. Encore une vision quantitative. Seul Don Juan fait semblant d’y croire.

J’espère qu’on en reparlera…

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