vendredi 9 août 2013

CUISINIER DE LABORATOIRE

Les mots ont un sens. Je crois. Voilà plus de vingt ans que charcutiers, bouchers, traiteurs, etc… ne parlent plus de cuisine, mais de « laboratoire ». La première fois que j’ai entendu ça, j’étais espanté.

« Il est dans son laboratoire ».

Sérieux, d’un coup tu penses plus que t’es chez Cazenave charcutier de père en fils depuis Sadi-Carnot. T’as le sentiment que tu pénètres dans un CHU. Chez un Cuisiner Hygiéniste Universel. Tout ça pour moi !

Vingt ans que le mot se promène, vingt ans qu’on l’accepte, qu’on le tolère, qu’on le subit. Et aujourd’hui, mes copains bons vivants, ils hurlent parce qu’on va bouffer des hamburgers clonés. Ben, c’est dans la droite ligne. Dans la logique des choses. T’as voulu du labo ? Tu vas en avoir, et pas qu’un peu !

Comme tout le monde, j’ai mes souvenirs de cuisiniers d’exception, de charcutiers de haut vol qui travaillaient dans des conditions que l’on qualifierait aujourd’hui de douteuses. Mon copain Dédé dans son garage, par exemple. Avec ses chiens à ses pieds. Dédé, il faisait comme il avait appris et quand on a voulu lui faire remplacer la sciure sur le sol par une poudre industrielle, il a sorti le fusil. Au propre, je veux dire. Les inspecteurs de l’hygiène, ils ont préféré envoyer le PV que le dresser sur place. Le martyre est soluble dans la réglementation.

La plupart des produits cuisinés traditionnels ont des recettes qui tiennent compte de la santé. Des recettes conçues à une époque sans chambre froide, sans carrelage, sans machines à mettre sous vide. La biologie de l’homme n’ayant pas fondamentalement changée depuis cette époque, on est en droit de s’interroger. Les recettes traditionnelles, elles ont des trucs. Elles cuisent longtemps, ça mitonne, ça bouillonne. La bactérie, en général, elle aime pas. Et puis, il y a les herbes. Le piment qui est un bactéricide de premier choix. Pourquoi on mettait des aromates ? Pas pour aromatiser seulement, également pour protéger et conserver. J’ai appris ça avec mon ami Antonio et sa carne asada qu’il faisait mariner trois jours avant de la cuire. Pas pour le goût. Pour tuer les petites bêtes. Faut dire que dans le nord du Mexique, des petites bêtes, y’en a. Faudra un jour que je vous parle d’Antonio qui fut à la fois le plus grand océanographe et le plus grand vigneron du Mexique.

Et donc, le produit préparé avec soin et temps ne tuait pas. Comme de surcroît, il était consommé localement, tu penses bien que le charcutier qui aurait empoisonné son client, il avait plus qu’à fermer boutique.

Seulement voilà. Soin et temps et marché local, ça va pas bien avec productivité, grande distribution et marché international. Faut aller vite et donc on utilise des ersatz. De la poudre de substituts d’aromates, du faux paprika pour la couleur. On a changé les modes de cuisson. Le haricot à point en dix minutes chrono. Forcément, y’a eu problèmes et rappel de lots. Et à chaque fois, nouvelle réglementation.

N’ayons pas peur des mots : on est chez les cons. Le con, c’est celui qui inverse l’analyse. Le combat entre la bouffe et la bactérie a toujours existé. Toujours. C’est même pour ça qu’on a inventé le séchage, le fumage, la saumure et bien d’autres encore. Le paysan qui sale et pimente son jambon, il sait que ça le protège. Contre quoi ? Il en ignore tout. Dans son combat, il a choisi le camp de son produit.

Le con a une autre solution : puisque le produit est fragile, supprimons la cause de cette fragilité qui ne peut pas être le produit, mais l’agresseur du produit.

En inversant la problématique, on bouleverse tout. Et on ne règle rien. La perfection n’existant pas dans les activités humaines, tu penses bien qu’il va y avoir des agresseurs pour se glisser dans les failles. La recherche du profit venant se greffer, tu penses bien qu’il y aura toujours des failles. Et la productivité apportant la cerise sur le gâteau, la maladie sera remplacée par une épidémie. Ce qui vaudra une procédure supplémentaire.

Pour le fun, ajoutons la dimension évolutionniste. Si tu empêches la bactérie de s’attaquer au produit, sans attaquer la bactérie elle-même, elle ne mutera pas. Tu restes dans un système stable et contrôlé, en équilibre. Si tu t’attaques à la bactérie, tu peux être sûr qu’elle va s’adapter, muter. Tu te retrouves face à un autre adversaire dont tu ne sais rien. Merci Darwin de nous l’avoir expliqué.

Ceci dit, nouveau danger, pour l’industrie, surtout pharmaceutique, ça veut dire nouveaux profits. Depuis trente ans, le système est bien rodé.

Et, par voie de conséquence, le débat qui opposa un jour Coffe et Kersauzon, débat d’anthologie que je n’ai pas réussi à retrouver, ce débat sera longtemps ouvert. Posons le clairement : l’hygiénisme a t-il un avenir ?

L’avenir de l’hygiénisme est dans le laboratoire, pas dans la cuisine, ça me paraît assez clair. On est partis pour manger de plus en plus longtemps des produits de plus en plus insipides et, paradoxalement, de plus en plus frelatés.

Je sais pas si on vivra longtemps, mais qu’est ce que ça va nous paraître long… A moins qu’on ne ferme les laboratoires pour rouvrir les cuisines…

On en reparlera sûrement…

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