mardi 13 août 2013

BAYONNE, VILLE PARFAITE ?

Nous sommes d’accord : je parle toujours de cochon, de poisson et de choses comme ça. Des choses bien triviales. Tous ceux qui ne me connaissent que superficiellement, la majorité en fait, trouvent ça normal. Certains s’étonnent que je ne parle pas des Fêtes de Bayonne. Pour un Bayonnais, ça semble le minimum.

Ecoutez les mecs, si je n’aimais ma ville que pour ça, le cochon, le poisson, les bistros et les Fêtes, je serais un piètre couillon. J’ai déjà parlé de la tolérance religieuse (http://rchabaud.blogspot.fr/2010/09/pourquoi-parler-de-gaza.html) et rien que ça mérite qu’on s’arrête trois minutes pour réfléchir.

Mais il y a pire. Ou mieux, c’est selon. Il y a Michel Portal et Gérard Daguerre. Le premier, même ma concierge connaît. Enfin, je pense. Le second, c’est un poil plus élitiste. Il n’a été que directeur musical de l’Opéra Comique. Quand la conversation vient sur Michel Portal, j’ai droit à plein de considérations sur sa manière de jouer, sur son éclectisme, sur son passage de Mozart au free jazz. Plein de considérations intelligentes de gens intelligents. Moi, je me tais, Michel Portal, celui qui en parlait le mieux, c’était mon grand-père, fidèle client du Bar des Amis tenu avec un grand sérieux par Madame Portal. Mon Aïtatchi, il me regardait droit dans les yeux et il me disait : « Le petit Portal, c’est un génie ». Quand t’as sept ans, tu crois ton grand-père.

Bon déjà, une ville moyenne (médiocre, c’est la même étymologie) qui produit un Portal, c’est pas mal. Tu ajoutes un directeur musical de l’Opéra Comique, c’est encore mieux. Faisons bonne mesure et ajoutons les sœurs Labèque. Oui, elles aussi. Je n’en ai pas parlé tout de suite pour des raisons de scansion du texte. Mais bon, les sœurs Labèque, c’est pas rien.

C’est ça qui conduit mes interrogations. Je connais peu de petites villes avec une telle passion et une telle histoire musicales. J’ai un peu travaillé le sujet. Un peu. Trop, on fatigue le monde. Y’a plein de textes sur le goût des Bayonnais pour la musique, mais ça reste du folklo antique.

Bien sûr, il y eut de la musique, comme partout en France, de la musique populaire, des sarabandes, des pamperruques. Il y eut certainement des organistes dès le XVIIème siècle et de la musique religieuse. Mais de toute cette époque, on ne sait pas grand chose.

Le premier dans l’histoire, c’est Guillaume du Tillot. Bayonnais né en 1711 qu’une carrière complexe conduira à être Premier ministre du Duché de Parme. Et que croyez vous qu’il fit ? Il y créa une école de musique, celle-là même où Verdi fit ses études. La filiation est lointaine, mais on peut avoir plaisir à se dire que sans un Bayonnais, la formation de Verdi eut été incomplète. Ou différente.

Jusqu’en 1792, être musicien, c’est faire partie d’une guilde, avoir des protecteurs, un évêque ou un grand seigneur, et c’est pas si simple. Surtout qu’à Bayonne, les évêques sont jansénistes et donc pas rigolos, pas trop portés sur la musique et les grand seigneurs, les Gramont ont produit plus de maréchaux que d’artistes. Seule Mademoiselle Montansier (Bayonnaise aussi) s’illustra dans la défense de l’opéra italien, mais sa carrière tenait plus, disent les mauvaises langues, à ses interprétations allongées qu’à son talent de chanteuse.

Après, ça change. Pourquoi ? Comment ? C’est une piste d’études, mais force est de constater que le début du XIXème siècle marque une sorte d’explosion qui va culminer sous le Second Empire. Quelques noms.

Delphin Allard (que Wikipédia appelle Jean Alard) fut certainement l’un des plus grands violonistes de tous les temps. Entré au Conservatoire de Paris à 12 ans, Premier Grand Prix à 15 ans, Premier soliste de l’Empereur Napoléon III, Professeur au Conservatoire à 28 ans. Il y publie un traité d’apprentissage du violon encore utilisé aujourd’hui. Professeur de Sarasate, ce qui serait en nos temps médiatiques un vrai titre de gloire. Et ce tout grand va passer sa vie à enseigner. Comme s’il avait épuisé les honneurs des concerts en son adolescence. Et il était le gendre de Vuillaume, l’un des plus grands luthiers de son siècle. Que reste t’il de lui aujourd’hui ? Une rue obscure derrière le couvent des Capucins et la valse de Brindisi sur You Tube.

Et Adrien Barthe, fils de l’organiste de la cathédrale, repéré par Delphin Allard. Premier Prix du Conservatoire de Paris, Premier Grand Prix de Rome de musique, copain de Berlioz.. Et puis, il décide de se consacrer à l’enseignement et il disparaît de l’Histoire. Ses œuvres ne sont plus jamais jouées, même pas son opéra Don Carlos, éclipsé par Verdi.

Paul Barroilhet a été l’un des tout premiers à fixer la tessiture de baryton avec son copain Dabadie (né à Pau).. Ami de Rossini qu’il chante régulièrement, il crée aussi plusieurs opéras de Donizetti et la plupart des œuvres de Meyerbeer. Nobles seigneurs, salut...

Jeanne Harding eut son heure de gloire comme cantatrice. Elle est engagée à l’Opéra Comique par Léon Carvalho lui-même et crée le rôle de Phryné dans l’opéra de Saint Saens. Le public lui fait une bronca car il assimile ce rôle de courtisane à la carrière de Mademoiselle Harding dont on dit qu’elle ne monte qu’allongée.

Ceci pour le classique. Mais, si on veut rigoler, on peut ajouter le café-concert avec Paulus, par exemple (oui, celui d’En r’venant de la revue), André Perchicot, spécialiste de la chanson satirique politique moderne ou encore Louise Balthy dont le nom de guerre était la Môme Pétomane alors qu’elle s’appelait tout bonnement Louise Bidart. Dis donc, on est loin de Sarasate !!!

Pas si sûr. Quand une ville moyenne, très moyenne avec plus d’un tiers de la population liée à la garnison, produit pendant tant d’années tant de musiciens de haut niveau, tant de musiciens qui passent sans barguigner du classique le plus classique au populaire le plus populaire, ça pose question. Une vraie question.

Et moi, j’ai le sentiment que ça va avec le cochon, avec la louvine de l’Adour, avec une certaine manière d’appréhender la vie, d’en jouir et de toujours chercher le meilleur sans que le meilleur ait à voir avec les revenus ou l’histoire culturelle. Mon Aïtatchi, il était pauvre, il n’avait pas une éducation musicale, mais il savait : « Le petit Portal est un génie ». Madame Daguerre, elle était pauvre, elle ne savait pas qui était Mozart, mais elle savait que ses fils (je n’ai pas parlé du second pour cause de pudeur amicale) étaient de très bons musiciens.

Et alors ? Alors, vous me faîtes tous chier à croire que Bayonne, c’est juste une semaine de beuverie par an, vous m’emmerdez à me parler (à moi !) d’une ville dont vous ignorez tout, à croire que vous êtes chez Patrick Sébastien alors que l’ombre de César Franck plane sur la Cathédrale (ça, j’en ai pas parlé, César Franck et Ermend Bonnal jouant ensemble sur l’orgue de la Cathédrale). Vous avez rendu ma ville vulgaire, stupide et insignifiante. Vous avez tout mélangé, tout confondu, tout brouillé. Ayez au moins la pudeur de lire Gadenne.

On n’en reparlera plus jamais….

J'offre ce texte à Yannick Daguerre, fils d'Henri et neveu de Gérard, Premier Prix du Conservatoire, élève (entre autres) de Madame Allain, organiste d'exception et tellement Bayonnais... Difficile d'oublier ces soirées où il faisait chanter et vibrer le grand orgue de la Cathédrale Notre-Dame. Difficile d'oublier l'admiration justifiée de son père qui pleurait d'avoir mis au monde un tel musicien. Encore plus difficile de le savoir ailleurs désormais.

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