dimanche 7 avril 2013

ETRE PRIS POUR UN CON - 3

Je viens encore de vivre une expérience étonnante. Enfin, une expérience qui m’étonne. Une expérience qui me fait à nouveau toucher du doigt que je suis un vieux con.

C’est sur Facebook. Je discute gentiment avec quelques copains et là, y’a une … une quoi ? une gisquette ? une bonne femme ? faut faire gaffe avec les qualificatifs au jour d’aujourd’hui. Regarde Obama, il se fait allumer parce qu’il a dit qu’une ministre de la justice était mignonne. Faut lui envoyer Taubira, il risquera plus de dire des choses comme ça.

Bon, la jeune femme, elle intervient dans la conversation avec le vocabulaire pseudo-branché (name-dropping, foodie-bashing) qui ne veut rien dire mais sert de signe de reconnaissance entre certains. Je lui demande de traduire et, tout de go, elle envoie la mitraille.

« Ce qui aiderait vraiment M. Chabaud, ce serait une initiation aux thés de Chine (mais je coûte cher) »

Vu que je cause pas comme elle (et ça me ferait braire de causer comme ça), elle décide que j’ai besoin d’être « aidé ». Elle me range dans le sac des simples d’esprit, des incomplets, des handicapés de la modernité. Elle doit coacher des gens dans la vie. Elle aide pas gratos, elle s’en vante, elle met en avant sa vénalité, elle est plus proche de Saint-Denis que de l’Hôtel-Dieu, tout s’achète, tout se vend.

De moi, elle ne sait rien. Alors, elle va me proposer ce qu’elle juge le plus chic, le thé de Chine, dont elle se croit une spécialiste. Mais au nom de quoi ? Que sait-elle de mon compagnonnage avec l’Asie ? De mes voyages ? Des années passées aux Langues O’ ? Elle veut m’initier à la Chine ? Après Jean Chesneaux, Madeleine Vandier-Nicolas, Jacques Pimpaneau, Jean Delvert, René Viénet, Pierre Gentelle ? Que va t’elle m‘offrir que ceux là ne m’ont déjà offert ?

Il faut que je lui raconte ? Il y a quelques semaines, je déjeunais avec mon vieil ami Sun Qian, créateur de la magnifique légende du thé du Mont Emei. Au Sichuan, il y a des plantations de thé et le Mont Emei, une sorte de Puy-de-Dôme vénéré par les bouddhistes. Sun qui est député, communiste et en charge de la promotion du Sichuan a mélangé les deux pour créer la marque Thé du Mont Emei, tout en racontant une belle histoire comme quoi c’est au Sichuan que se trouve le berceau de la culture du thé en Chine. Tu parles ! Il m’avait apporté une sélection des thés du Sichuan avec le fameux Thé du Panda : tu mélanges du thé avec de la merde séchée de panda. Les Chinois adorent : il paraît que c’est (aussi) aphrodisiaque.

Elle va m’initier à quoi la nana ? Me tenir un baratin sur la spiritualité du thé ? Ma première initiation à la spiritualité du thé, c’était il y a quarante ans dans un jardin de Kyôto où je me suis emmerdé à essayer de suivre une cérémonie du thé. Tant de chichis pour boire de l’eau chaude !. Je suis tellement sensible à la spiritualité du thé que les thés de Sun, je les ai filés à quelques copains. J’ai gardé le maotaï. Mais je n’ai pas besoin d’une initiation au maotaï

J’ai trouvé cette remarque tellement stupide que je suis allé voir qui c’était la gamine. Je ne sais pas d’où elle sort, j’ai pas trouvé. Mais elle se donne (ou elle est donnée par ceux qui écoutent son attachée de presse) comme un écrivain spécialisé dans la gastronomie (non, je n’écrirai pas « une écrivaine spécialisée »). Pour ceux qui on certain sens de l’édition, elle a sévi chez Minerva, Solar et La Martinière. Que du lourd en matière de livres pour gondoles chez Auchan. Remarque, La Martinière, ils croient qu’Arthus-Bertrand est un écolo, ils peuvent croire que la gamine est gastronome. Et là, je me suis souvenu avoir ouvert un de ses livres sur les tapas et de l’avoir refermé aussi vite pour filer à Gross.

La demoiselle est une confectionneuse de produits. Par exemple, elle prend le classement de 1855 et elle demande des recettes à un paquet de grands chefs. Elle a pas inventé le classement, elle a pas inventé les recettes, elle a juste inventé un produit marketing. C’est bien… Mais de là à se parer des plumes de la culture, il y a un gouffre.

Elle est emblématique du temps. Elle attaque par le mépris et l’autosuffisance. Moi, moi, moi… Moi je sais, moi je suis chère. Toi que je ne connais pas, tu ne sais rien, tu n’es rien. Et bien entendu, pour être sûre d’imposer son savoir, elle choisit les thèmes lointains, les tapas, la cuisine indienne, la cuisine japonaise, les thèmes où ne fonctionnent que les stéréotypes, le savoir approximatif. On mange du poulet au curry. Moi aussi. J’appelle ça « poulet chasseur » vu que kari, en hindi, ça veut dire ragoût. Un navarin d’agneau, c’est du curry. Mais non ! Tout le monde sait ce qu’est le curry. Ben non. Personne ne sait. Même pas les Indiens. Il n’y a pas en Inde de cuisine formalisée, avec des auteurs comme Carême, Grimod, Dumas, Pellaprat ou même Françoise Bernard. Excusez moi, je viens de parler de livres.

Le discours sur la bouffe étrangère, il est généralement minable. Prenons un exemple simple, le jambon espagnol. C’est un vrai merdier d’appellations avec du génétique (le pata negra qui désigne les cochons pie), du géographique (serrano qui indique la montagne ou Jabugo, nom de village), du nutritif (bellota qui signifie que le cochon a été nourri aux glands). Et donc tu peux avoir du pata negra-serrano-bellota qui va signifier un cochon pie nourri aux glands dans la montagne, ou du pata negra-bellota qui t’indiquera un cochon pie nourri aux glands, le plus souvent dans la Dehesa). Vas y, cherche, jamais tu n’auras ce genre d’indications multiples. Faut pas compliquer, une seule mention, ça suffit bien pour le lecteur moyen. Le vrai problème, celui de l’élevage du cochon, n’est jamais mentionné. Y’a du serrano industriel, suffit que l’élevage industriel soit en zone de montagne. J’ai des exemples, en Navarre.

Faisons simple. On en a déjà parlé (http://rchabaud.blogspot.fr/2012/06/faisons-simple.html). Des fois, ça m’énerve. Ainsi quand cet excellent Eric Ospital laisse écrire sans protester qu’il est le fils du créateur de l’Ibaïona. La vérité, c’est qu’ils étaient trois (Louis Ospital, Sauveur Mayté et Jacques Montauzer). Trois, ça doit être trop compliqué pour un message simple. Dire qu’ils étaient trois n’enlève rien à Louis Ospital, surtout quand les deux autres sont de ce niveau. Il fallait bien être trois pour surmonter les obstacles. Une après-midi, à Saint-Jean-le-Vieux, Sauveur Mayté m’a raconté les galères, les difficultés, le découragement, les jambons perdus faute de bien maîtriser les problèmes de sèche. Il fallait bien être trois pour arriver seuls à ce niveau, pour partager les pertes et surmonter les échecs. Trois, seuls contre tous les autres. Oui, contre. Aujourd’hui encore.

Il faudra bien que quelqu’un écrive sérieusement l’histoire de l’Ibaïona. Mais qui s’intéresse à une histoire « sérieuse » ? On préfère acheter de l’IGP industriel avec la lauburu pour faire local. J’ai déjà publié mon sentiment là-dessus ce qui m’a définitivement fâché avec Denis Brillant. Ce qui était une bonne chose.

On en reparlera…

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