mercredi 2 janvier 2013

OMAR ET DENIS

Voilà la nouvelle de ce début d’année. Omar Sy est la personnalité préférée des Français.

Il n’est venu à l’idée de personne que ce n’était pas Omar que les Français aimaient mais le personnage qu’il joue dans Intouchables. Pas Omar, mais la défroque qu’on lui a collée sur le dos.

Pour tous ceux à qui j’en ai parlé, c’est pareil. Omar EST son personnage. Ben non. Pas plus que Gérard Philippe n’est le Cid ou Gérard Depardieu Cyrano.

L’acteur n’est pas, n’a jamais été son personnage. Personne ne le dira mieux que Diderot (Denis) dans Le paradoxe sur le comédien. Le comédien N’EST pas son personnage, il JOUE son personnage. Il enfile un habit. Si Omar était resté le pathétique pantin du SAV, la seule émission drôle qui ne fait rire personne, il ne serait pas aujourd’hui la personnalité préférée des Français. Ce serait, par exemple, Anthony Kavanagh ou Pascal Légitimus (c’est juste deux noms qui me viennent comme ça).

Cette assimilation inconséquente de l’acteur et de son personnage bouffe la tête de tout le monde, ou presque, au point de faire oublier ce qu’est un acteur. On demande aux acteurs de jouer ce qu’ils savent jouer, d’utiliser une seule corde de la harpe des sentiments et des situations. Si Omar était un acteur, un vrai, il pourrait jouer Lorenzaccio ou Rodrigue. Ouah ! vont bêler ceux qui bêlent. C’est pas des rôles pour Blacks. Non. Mais l’Aiglon n’est pas un rôle pour femme et il a été créé par Sarah Bernard. Un vrai, un bon acteur black, peut jouer Rodrigue et me faire oublier, par son jeu, par sa diction, qu’il est un peu plus bronzé que Rodrigue Diaz de Bivar. Comme un Blanc peut jouer Othello qui est Black.

Il y a un mot pour ça : contre-emploi. Le mot qui veut dire qu’un vieil acteur peut jouer un jeune amant. Mais ça, on supporte plus. Un des derniers exemples a été ce malheureux Bigard avec son Bourgeois gentilhomme. Il était très bon, Bigard, en Monsieur Jourdain. Il savait parfaitement faire ressortir la vulgarité profonde du personnage, son côté parvenu qui est la clé du rôle. Il n’était même pas à contre-emploi. Sauf que le couple Bigard-Molière ne fonctionnait pas dans la tête des spectateurs et des critiques. Bigard, on l’attend en pétomane de Stade de France. On ne veut le voir que là. Quand t’es dans un emploi, tu n’as plus le droit d’en sortir.

C’est aussi la clé du scandale Depardieu. Depardieu, tout le monde le voit dans des rôles sympathiques de prolo bon vivant. Et il nous balance dans la gueule qu’en vrai, il est pas comme ça. Ben non, il est acteur. En vrai, il est pas comme au cinéma. Et ça vous étonne ?

Comme ça vous étonnerait si une star du porno affirmait que, dans la vraie vie, elle est frigide. C’est pas possible !!! Non seulement, c’est possible, mais c’est préférable vu que c’est ça qui montre ses qualités d’actrice.

Tout ça pour dire qu’on est dans le bordel intellectuel le plus complet. La société du spectacle fonctionne si bien que toute discrimination est impossible. Ceux que ça arrange, c’est les politiques. Le rôle efface l’homme et il importe plus d’affirmer que l’ennemi, c’est la finance, que de lutter contre la finance. Suivez mon regard.

Moi, ça me gène. Ça me gène parce que j’ai décidé d’être spectateur du monde et que je n’ai plus les clés pour apprécier le spectacle.

Je repense, encore et toujours, à Stanislavski, le plus grand metteur en scène du XXème siècle. Pour choisir ses élèves, Stanislavski avait un truc imparable. Il installait une porte sur une scène vide et s’installait face à la porte. L’élève devait la franchir trente fois avec un seul mot de texte : « Bonjour ». Avec ce seul mot, il devait faire passer trente émotions ou trente situations différentes. S’il y arrivait, le maître consentait à le faire travailler et progresser.

Omar Sy aurait-il réussi ? Si vous ne pouvez pas répondre OUI, alors Omar Sy n’est pas un acteur. Quand vous jugez qu’un mec (ou une nana, je suis pas sexiste) pouvait satisfaire à l’épreuve de Stanislavski, vous savez que vous avez à faire à un acteur (ou une actrice).

OK, ça éclaircit les rangs. Mais vaut-il mieux peu et bien que beaucoup et médiocre ? Répondre à ce genre de questions vous situe. A vos yeux, je veux dire.

Bon. En attendant les Français préfèrent Omar Sy à François Hollande. Ils progressent, les Français. Il y a dix ans, c’est l’Abbé Pierre qu’ils préféraient.

On en reparlera….

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