mardi 20 novembre 2012

PICOLER A L'EUROPEENNE

Je me suis penché, par curiosité, sur la fiscalité européenne de l’alcool. C’est édifiant. Et je vais être obligé d’être un peu chiant.

D’abord, y’a un terme qui me fait frémir. Outre la TVA, le vin, mais aussi le tabac et autres joyeusetés qui nous permettent de survivre, le vin supporte un droit d’accise. C’est un mot que j’ignorais bien qu’il soit au dictionnaire de l’Académie. Ça désigne un impôt féodal, disparu, mais remis au goût du jour par la Commission de Bruxelles pour traduire l’anglais excise. En français, on avait déjà excision, alors on a ressorti accise. L’étymologie, c’est « couper ». Pour le clitoris, ça s’explique. Pour un impôt, un peu moins. En principe, l’accise, c’est pour des raisons de santé. Alors, on coupe le plaisir.

Et donc, le droit d’accise a été codifié par Bruxelles, avec l’aval de nos eurodéputés à nous. Ça commence par un classement. Les grandes catégories, c’est (1) bière, (2) vin, (3) autres produits fermentés, (4) produits intermédiaires et (5) alcools.

Vous affolez pas : c’est juste des noms pour classer en fonction du degré alcoolique. Le vin, c’est moins de 15°. Entre 15 et 22°, « produit intermédiaire ». Et « alcool » au delà de 22°. Inutile de dire que c’est un classement très con. Pour Bruxelles, un porto ou un Jerez, c’est pas un vin. Un vin cuit, c’est pas un vin non plus. Le Malibu, avec ses 21°, c’est pas un alcool. Qu’est ce que tu crois ? Chez Pernod-Ricard, les mecs, ils connaissent la loi. Leur bibine, ils l’ont collée dans la bonne catégorie. Pas un degré qui dépasse.

Le classement des bières, j’ai pas tout compris. La bière, c’est pas un truc pour moi. Trop de liquide pour le nombre de degrés. J’aime bien la picole efficace.

Pour le vin, Bruxelles divise : vin tranquille et vin mousseux. Les bulles, c’est pourtant pas primordial, c’et juste un mode de vinification. Regarde les taux, avant de dire des conneries. Les bulles, c’est le luxe. Si tu mousses, tu douilles. Même le cava ou la clairette de Die ? Même.

Pour être honnête, la Commission, sur les vins, elle est pas chienne. Aucun impôt obligatoire et européen. Chaque pays choisit son accise. Les Italiens et les Espagnols sont les plus raisonnables : 0 €, rien, nada, niente. La France met la pédale douce : 3,60 € l’hectolitre, soit 0,027 € pour un flacon de vin tranquille. Les bulles, c’est plus cher : 8,92 € l’hectolitre, quelque chose comme 0,05 € par roteuse. Après, y’a les luthériens, les nordiques, les qu’ont pas de vignes. Eux, ils y vont pas avec le dos de la cuillère. Les Anglais, ils collent 295 € de taxes à l’hectolitre de vin tranquille, soit 2 € la bouteille. Les Danois, les Irlandais, les Suédois sont dans le même ordre, en dessous du record finlandais de 312 €. Les Irlandais, ils aiment pas le champagne, ils te collent un impôt de 524 € par hectolitre. J’ai une explication : le dernier bateau qu’ils ont baptisé au champagne, c’était le Titanic !

Je veux bien qu’il s’agisse de lutter contre l’alcoolisme. Moi, ça me paraît surtout férocement protectionniste : j’en produis pas, alors je frappe.

Même topo pour les produits intermédiaires : l’accise minimum est à 45 €. La France l’a fixée à 180 €, l’Espagne a 55, l’Italie à 68, le Portugal à 64, la GB à 393, avec encore un record pour la Finlande à 625 €. Même punition, même motif. Les pays qui produisent des vins forts, porto, malaga, jerez, taxent peu. Les autres cognent.

Pour l’alcool, la Commission fixe un taux minimum de 550 € par hectolitre de produit. La France taxe à 1660 €, l’Italie (800 €) et l’Espagne (830 €) sont plus raisonnables. Les Anglais sont plus sévères : 3118 euro. Sauf que tout le monde profite du tarif spécial « petit producteur ». Un petit producteur, c’est quelqu’un qui produit moins de 10 hectolitres d’alcool pur. Soit en gros, 22 hectolitres d’alcool par an. Pour un producteur d’armagnac, ça fait, en gros 1600 bouteilles/an. En Angleterre ou en France, l’accise des petits producteurs, c’est 0. En Grèce, l’accise, c’est 2459, sauf pour l’ouzo 1225. Record pour la Suède à 5474 euro. Y’a d’autres exceptions : en France, c’est 903 € pour les alcools pas trop forts ou avec des particularismes régionaux, et 872 € pour les rhums d’outre-mer. T’as compris : un gros producteur de cognac paie 1660, un petit producteur d’armagnac ne paie rien, un producteur antillais de rhum, c’est 903, sauf s’il est tout petit, et ainsi de suite.

Et ainsi de suite… l’accise, c’est au-delà du bordel. D’autant que c’est le consommateur final qui paye. On peut imaginer que c’est comme la TVA. Tu vends hors taxes, tu expédies et les douanes du pays qui reçoit perçoivent auprès de l’acheteur. Ben non. Il faut que tu sois agréé et que les bouteilles voyagent avec un papier officiel, quelque chose comme l’acquit-congé d’il y a vingt ans. Résultat : le petit vigneron du Frontonais peut pas vendre son vin en Angleterre, sauf à passer par un intermédiaire agréé, un grossiste par exemple qui ajoutera sa marge. Non content d’être complexe, le système est délicatement verrouillé.

Sous des dehors hygiénistes (lutter contre l’alcoolisme), on a bâti un système où les pays du Nord font preuve d’un protectionnisme rare. Le système de l’accise interdit de facto au vin de circuler librement. Pas seulement le vin, mais surtout le vin. Moi, j’y vois la marque d’un luthérianisme exacerbé ou encore d’un capitalisme moralisateur. Le XIXème siècle hurlait contre l’ivrognerie du prolétariat. Thomas Cook a commencé dans le voyage en organisant des excursions destinées à éviter au prolo britannique de passer son dimanche au pub.

Le marché du vin peut donc se concentrer entre quelques mains, de préférence puissantes, avec des services juridiques et fiscaux importants. C’est la liberté européenne. Quand on voit ce qu’ils sont capables de concocter pour éviter qu’on boive un coup entre amis, on peut imaginer ce qu’ils vont inventer pour l’Europe sociale et fiscale. Autant dire qu’on n’en verra jamais la couleur.

On en reparlera….

1 commentaire:

  1. Bien résumé.
    Ce qu'il faut retenir, c'est que la France n'est pas le pays qui "taxe" le plus les importations(de vin). Il est donc relativement simple pour n'importe quel caviste d'importer des vins italiens ou espagnols.
    Là où le bat blesse, c'est effectivement quand il s'agit de vendre du vin en Europe, car non seulement les droits d'accise varient d'un pays l'autre, mais la TVA aussi... Sans compter les pays nordiques (Suède, Norvège, Finlande...) qui ont un monopole d'état sur la vente d'alcool. Comme le Canada, d'ailleurs. D'où un petit casse-tête pour le caviste en mal d'exportation...
    Quant au "petit vigneron du frontonais", je lui conseille de se rapprocher de son transporteur. Presque tous sont "intermédiaires agréés" et se chargent des formalités pour une somme modique. Surtout s'il expédie une ou des palettes...

    En tous cas, belle découverte que ce blog.

    Bebert

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