mardi 31 juillet 2012

L’EXIGENCE…..

Nous n’avons plus aucune exigence. Le médiocre nous satisfait. Si le médiocre est un peu moins médiocre, ça va bien.

L’avantage des réseaux sociaux, c’est qu’ils sont une magnifique caisse de résonance des stéréotypes et des médiocrités. Tout le monde s’auto-congratule, s’auto-encense, met en avant des vacuités ahurissantes. C’est déjà comme ça dans la vraie vie, mais sur Internet les limites explosent.

Une artiste espagnole crée une sculpture où quelques milliers de livres collés les uns aux autres débordent d’une fenêtre. Commentaires affligés : mais où va le livre ? où va la culture ? Personne ne pose la vraie question : sont-ce des livres ? Dans la plupart des cas, ce sont simplement des produits éditoriaux, des choses qu’on fabrique pour assurer le chiffre d’affaires des éditeurs et des libraires, des trucs qui ne passeront pas l’épreuve du temps qui reste, encore et toujours, la pierre de touche de la culture. Bien sûr, ça ressemble à des livres. Papier, typographie, c’est bien un livre. Ben non. Pour savoir, il suffit de se poser les vraies questions. Est-ce que l’auteur finira dans le Lagarde et Michard ? Si la réponse est non, alors il y a de fortes chances que ce ne soit pas un livre. Le vieux libraire que je suis aime à regarder en arrière. André Soubiran, vous vous souvenez ? Des millions d’exemplaires vendus dans les années 1960. Des histoires de médecins et d’infirmières sans aucun intérêt. Disparu dans le gouffre du temps. Soubiran n’était pas un écrivain, juste un raconteur d’histoires. Son succès ne disait rien, ne prouvait rien. Les livres de Soubiran n’étaient pas des livres mais des produits. A la même époque, Robbe-Grillet écrivait Les Gommes. Qui a passé l’épreuve du temps ? Bien entendu, Robbe-Grillet était plus difficile à lire, plus « prise de tête » comme disent les imbéciles qui n’ont toujours pas compris qu’un livre, c’est précisément fait pour prendre la tête, la remuer, l’agiter et la laisser différente de ce qu’elle était avant la lecture de ce livre. Un livre, c’est fait pour penser. Sinon, c’est simple, c’est pas un livre.

J’ai eu pas mal de voitures dans ma vie. Des merdes. Des voitures médiocres, les voitures du quidam de base. A trente ans, je leur trouvais des qualités. « Elle est bien ta voiture ? ». Oui, bien sûr. Tu crois que j’aurais dépensé tant d’argent pour acheter une mauvaise voiture ? Je suis pas idiot quand même. La vérité, c’est que les vraies voitures, j’ai jamais eu l’argent pour me les offrir. Encore n’est-ce pas seulement une question d’argent. Pour trouver une AC Cobra Shelby, il faut être riche, patient et passionné. Nous conduisons tous, non les voitures que nous avons choisies, mais les voitures que nos moyens nous permettent. Il y a moins de Ferrari que de Porsche dans les parkings, même à Puerto Banus. On fait avec ce qu’on a….

Internet regorge de sites dédiés au vin. Tout le monde nous y propose des « découvertes », des vignerons incroyables, des petits vins à 15 € la bouteille. Tout ceci suscite une superbe littérature où on trouve au vin des arômes de tout, de mûre, de noisette, de vanille…. mais jamais de raisin ! Là encore, je n’ai bu que très peu de grandes bouteilles : un Yquem 47 mais le souvenir en est lointain, un Romanée-Conti, quelques Petrus, un Cheval-Blanc, deux ou trois Haut-Brion, un Maury exceptionnel (75 ans de foudre). Quand tu mets ton nez dans le verre, la différence explose. Mais voilà : rares sont ceux qui ont les moyens de boire du Haut-Brion à tous les repas. Alors, on fait avec des ersatz, on s’accommode, on se débrouille, on cherche le rapport qualité-prix sans admettre que le rapport peut être bon avec une qualité médiocre. Ben oui ! C’est un rapport. Si la qualité est médiocre et le prix médiocre, le rapport peut être bon. Oui, me disent mes copains mais c’est pas tout à fait ça, tu comprends bien ce qu’on veut dire.

Ben non, je comprends pas. Un rapport est un rapport. Si tu violes les mots, tu violes la pensée. Ce que veulent dire mes copains, c’est que tu mets 15€ mais tu en as pour plus que 15€, question plaisir. Ouais. Dans ce cas précis, ton plaisir, il vient pas du vin, il vient du discours que tu tiens autour. T’as vu si je suis bon pour dénicher des vins de qualité ? Et le vigneron il est extra, enraciné dans son terroir, fou de son histoire et de son domaine. Et bla, et bla et bla… Mets ton nez dans un grand Saint-Emilion, tu verras si t’as envie de parler…

Tout ceci me ramène définitivement à Bouvard et Pécuchet. Les deux copistes de Flaubert ne savent rien, rien d’autre que parler. Ils servent de caisse de résonance aux stéréotypes du temps. Et toutes leurs tentatives de savoir échouent piteusement parce que le savoir se défie des stéréotypes. Parce que comprendre, c’est aller au delà du stéréotype, le contourner et le détruire. L’Histoire du Savoir est pleine de ces destructions. Voilà belle lurette qu’on n’explique plus les maladies par la théorie des humeurs.

Penser, c’est se mettre en danger. S’isoler. Se retrouver seul contre tous. Et en plus, ça ne suffit pas. On peut être seul contre tous et avoir tort quand même. Personne n’a envie de courir ce danger.

Alors, on fait semblant. On accepte la doxa. Avec ce paradoxe : on admire ceux qui sont allés contre la doxa et qui ont gagné. Pasteur est un bon exemple. Personne ne se demande : comment aurais-je réagi, moi, bon petit penseur conformiste face à la théorie pastorienne ? Il est vraisemblable que je l’aurais rejetée. Comme j’aurais ri de Van Gogh et comme j’aurais voté pour Pétain.

Dites ça, vous verrez la levée de boucliers. Tu acceptes la doxa de ton temps. Aujourd’hui, c’est de dire que Pasteur avait raison, que Van Gogh est un grand peintre et que Pétain était un traître. Il y a gros à parier que si tu acceptes la doxa de ton temps, tu aurais aussi accepté la doxa d’un autre temps. Ça te défrise ? Alors, essaye de prouver que tu ne suis pas le troupeau.

On en reparlera…

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