samedi 30 juin 2012

LA CRISE GRECQUE ET LE BISTRO PARISIEN

Ben, c’est pas une crise. La crise européenne, non plus. Pourquoi ?

La crise, au départ, c’est un mot grec. Κρυσειν. C’est vachement précis, comme mot. Ça désigne, chez Hippocrate et ses copains, le point culminant d’une maladie. Quand t’arrives à la crise, tu meurs ou tu guéris. Bon, tu préfères guérir. Mais tu choisis pas. C’est la crise qui choisit.

Et donc la crise, c’est un moment, pas une durée. Une crise qui dure, ça existe pas. Ce qui dure, c’est la maladie. On s’arrête. Lâchez vous. Pignoleur ! Sodomiseur de diptères ! Orchiclaste ! (Celui-là, c’est Collard qui vient de le sortir et je l’aime beaucoup. Etymologiquement, je veux dire). Moment, durée, ça change rien.

Ben si. Ça change tout. Quand y’a un glissement sémantique, y’a toujours derrière quelqu’un qui cherche à te baiser. La crise, le moment fort, on y est pas. Pas encore. Ça peut prendre l’allure d’une révolution, d’un gros soubresaut. C’est l’idée de Marx. Il a peut-être raison. Peut-être pas.

La société capitaliste est malade. Pas en crise. Quand t’as une maladie, tu cherches un médecin. Un bon. Un qui va te guérir sans crise, avant que la crise n’arrive. A l’heure actuelle, la médecine économique, c’est Diafoirus. Purgare, purgare, qu’ils hurlent tous. Pas en latin. Un économiste, ça sait pas le latin vu que le latin, ça rapporte rien. Ils disent « austérité », mais si t’es pas trop con, tu comprends vite qu’austérité, ça veut dire « purgare ». Ou « seignare ». Vous voyez, lire Molière ça peut conduire au jugement économique.

Les politiques et les économistes, ils fonctionnent comme au bistro. Un problème, une réponse. Un seule. Je sais pas si vous avez remarqué, mais la conversation de bistro, c’est ça. « Y’a qu’a… ». Y’a qu’à virer les immigrés. Y’a qu’à taxer les riches. Y’a qu’à construire des prisons. On en a déjà parlé. Pour la maladie, ils ont chacun qu’une réponse. Y’a deux camps : le camp de l’austérité et le camp de la croissance. Chacun arquebouté sur ses positions. Ceux qui disent « y’a qu’a réinjecter » et ceux qui disent « y’a qu’a serrer les boulons ». En fait, ils font un peu des deux, au coup par coup, comme ils peuvent. Mais dans les médias, ils tiennent qu’un discours. On doit être trop cons pour comprendre les choses complexes, alors ils sont gentils avec nous, ils simplifient.

Ils sont d’accord sur une donnée, cependant. « Il faut rassurer les marchés ». Ha bon ? Les marchés, c’est les mecs qui spéculent, qui parient que l’Espagne va se planter ou que la Grèce va sombrer. C’est les mecs qui ont créé la maladie. Tu vois un médecin, même Diafoirus, qui dirait « Il faut rassurer le virus » ? Ben, c’est ce qu’ils font. Et donc, les marchés, rassurés, vont cesser d’emmerder l’Espagne et l’Italie. C’est bien, non ?

Non. Les marchés, ils ont des milliards dans les pognes. Ils ont pas d’état d’âme. Si on peut plus jouer avec la dette grecque, on va jouer avec autre chose parce que notre pognon faut bien qu’on s’en serve. On sait pas encore le nom du prochain joujou : le pétrole ? le dollar ? le maïs ? C’est selon. En ce moment, ils sont en train de chercher, ils supputent, ils gambergent. Avec quoi on va prendre des bénéfices ?

Imaginons. Tiens, faisons un coup de fric avec le pétrole. Zou ! le prix du Brent flambe, les porte-monnaies se vident avec les réservoirs. Croissance en berne. Les tenants de l’austérité se marrent. Dans les pays où ils sont au pouvoir, les balances commerciales dégringolent. Tu peux virer des fonctionnaires mais si tu dois payer le sans plomb plus cher, t’as l’austérité qui branle. Là, c’est les zélateurs de la croissance qui rigolent. Dans tous les cas, retour à la case départ.

La maladie, c’est ces milliards qui se baladent en quête d’un hold-up. Et le seul moyen d’aller mieux, c’est de les détruire. Or, il n’y a qu’une arme possible. L’inflation. La belle et joufflue inflation qui détruit l’argent chaque jour, qui s’en gave, qui le digère. Si ton paquet de fric diminue, tu vas le mettre dans les trucs qui gardent leur valeur. Des usines, des maisons, des terres agricoles.

Mais là, polop ! Ils sont tous d’accord, l’inflation, c’est le bacille mortel. Pas touche à la thune ! Pas la peine de leur dire qu’on vivait mieux quand l’inflation se baladait autour de 10-12%. Nous, oui. Nous, les gagne-petit, les salariés à l’échelle mobile. Eux, non. Ils t’accablent de faits, de théories, de concepts. Un gros paquet de poudre aux yeux.

Lisez pas de traités d’économie. Lisez Bataille. La Part Maudite. Concept génial. Bataille, il nous affirme que la Terre recevant plus d’énergie du Soleil qu’elle n’en consomme, il est nécessaire de procéder régulièrement à des destructions : sacrifices humains, guerres, afin d’utiliser au mieux ce surplus qui nous arrive chaque jour. Bon, on a évolué, on s’est civilisés, on coupe plus les kikis au sommet des pyramides comme les Mayas. Mon grand-père le disait : « Il faudrait une bonne guerre ». C’est plus rustique que Bataille, mais le sens est le même.

Alors, détruisons le fric. Ça saigne pas et ça fait pas souffrir. Sauf Harpagon. Tu vois qu’on revient à Molière. Tiens, je vais relire les Précieuses Ridicules. C’est comme du Alain Minc, mais bien écrit.

On en reparlera…

mardi 26 juin 2012

LE LOT-ET-GARONNE

C’était il y a vingt ans. J’avais une copine qui faisait des études d’agronomie. On l’avait envoyé en stage à Marmande. C’est comme ça que j’ai découvert le Lot-et-Garonne. Je prenais la route, toute droite dans les Landes. Quand tu sors des Landes, après Houeillès, la première ville, c’est Casteljaloux. Casteljaloux, ô Rostand ! C’est nous les cadets de Gascogne de Carbon de Casteljaloux…

Le Lot-et-Garonne, c’est la plus riche terre de France. T’as le sentiment que si tu plantes une canne, elle va faire des rameaux et fleurir. C’est un confluent de rivières, le Lot, la Baïse, la Garonne. Voilà des millénaires que tout ça alluvionne, dépose des sédiments arrachés aux Pyrénées et au Massif central. Ça te fait une belle terre, bien grasse, bien fertile. C’est des prairies, des vergers, des maisons à l’allure toscane. Le climat va avec, sans trop d’influences de l’Atlantique. Juste ce qu’il faut. En été, il fait chaud, bien chaud et en hiver pas trop froid. Un peu, c’est bon pour la dormance des plantes. Mais pas au point que ça gèle trop. Le printemps y est une merveille. Faut le dire : le Lot-et-Garonne, c’est le paradis.

C’est le paradis, surtout pour la tomate. Ha ! la tomate de Marmande. De Marmande ? pas du tout. Rien à voir. Marmande, c’est que l’étiquette. Ma copine, elle m’a fait découvrir. Les serres à plusieurs milliers d’euro l’hectare. La connerie absolue. T’as une terre de rêve, alors tu la recouvres de serres pour faire pousser tes tomates en hydroponique. C’est génial l’hydroponique, vu que ça supprime la terre. La tomate, tu la plantes dans un géotextile (c’est un truc à base de pétrole) et tu lui colles un goutte-à-goutte d’une solution de nutriments. C’est l’ordinateur qui gère le goutte-goutte. Tu contrôles tout : la croissance, la germination. Quand tu plantes, tu programmes pour avoir des tomates à la date où les cours seront les plus hauts. Et puis, au fur et à mesure, t’ajustes. En fonction de la production des Espagnols ou des Marocains, des cours de l’an dernier et de l’âge du capitaine. Bien sûr, plus ça avance, moins tu peux jouer. T’es jamais à l’abri d’un arrivage imprévu qui va faire baisser le cours au jour que t’avais prévu pour le jackpot. Là, tu pleures.

Plus con, c’est pas possible. Les Andalous, ils ont tout compris. Il suffit de longer la côte de Motril à Almeria. Après la Marmola, y’a plus de plages. Sur les plages, ils ont mis des serres. Pour gagner du pognon, vaut mieux des tomates que de l’Allemand survitaminé, gonflé de carotène B qui te fait la peau si tannée. Ben oui, avec le géotextile, on n’a pas besoin de terre, le sable suffit. Le géotextile, c’est un truc pour pays pauvres. Pas pour terres de cocagne.

C’est sidérant. T’as la terre, t’as le climat, t’as le savoir-faire, t’as la tradition. Et t’en fais quoi ? Tu masques la terre, tu supprimes le climat, tu jettes la tradition à la poubelle et tu produis le même produit que l’autre qui, en plus, importe du Marocain sans papiers pour baisser ses coûts. Tu te tires une balle dans le pied. Et après, comme dans le Vaucluse, on verra débarquer les Chinois, premiers producteurs du monde de tomates. Où ? Dans le Xinjiang, beau désert de sable, relisez Sven Hedin sur le Taklamakan. Merci le géotextile !

L’agriculture française, c’est ça. Des mecs installés sur la plus riche terre du monde qui se foutent de ce qu’ils ont sous les pieds. Les héritiers de siècles de tradition qui se débarrassent de tous leurs savoirs. Qui remplacent le blé par le maïs. Qui font vivre les canards par milliers et les cochons par centaines. Qui font semblant d’inventer quand ils détruisent. Les canards, c’est pas fait pour vivre par milliers à cause des maladies. Alors, on leur file des antibiotiques dès la naissance. Les cochons, aussi.

Ils ont une excuse. Le consommateur, toi, moi, il se fout totalement de la terre où pousse ses tomates. D’abord, il y connaît rien. Et puis ce qu’il regarde, c’est le prix. Le prix et la tronche de la tomate. Dans les serres à géotextile, on plante des tomates bien sélectionnées pour leur taille, leur couleur. Dans les serres à géotextile, la tomate, elle est vachement propre. Pas besoin de la laver. Même pas pour enlever les résidus d’insecticide qui font de la serre un biotope sans vilains vers qui pourraient la défigurer. C’est un produit « calibré ». Quel vilain mot ! Le calibre, c’est pour les canons, pas pour les tomates.

Le consommateur, toi, moi, en fait y’a qu’un mec qui lui parle : le proprio de la supérette. C’est lui qui lui murmure à l’oreille qu’il a choisi, exprès pour lui, les plus belles, les plus rouges, les moins chères tomates, et tout ça parce qu’il l’aime. T’imagines qu’il bande le consommateur. Tout ça rien que pour moi ! Pas la peine de lui parler de la terre du Lot-et-Garonne. Pas la peine de lui raconter comment on pince les tomates pour garder les plus belles, les plus goûteuses. En février, il se gave de tomates de Bretagne. La Bretagne, l’une des terres les plus pauvres que tu puisses rêver, un socle granitique où pendant des siècles on pouvait faire pousser que du seigle. C’est même pour ça que le consommateur, il aime aussi les crêperies bretonnes. Un plat de pauvres à prix de riches. Les Bretons, ils peuvent dire merci à Bayer et à Dusquesne-Purina. La chimie gomme le granite et couvre les plages d’algues.

Et donc, au jour d’aujourd’hui, le Lot-et-Garonne crève. Remarque, c’est une sorte de justice divine. Bien fait pour leurs gueules ! Ils avaient une terre qui rendait riche, grâce au Progrès ça sert à rien. Les premiers seront les derniers. Qu’est ce qu’on va en faire du Lot-et-Garonne ? Des fleurs ? Sous serre, les Equatoriens ont bouffé le marché. Des canards ? Les Landes, arides, stériles, sont n° 1. Et tout à l’avenant. Même pour le tourisme, ça ira pas fort. Y’a pas de plages. Le seul espoir, c’est une réserve gastronomique. Un endroit où iront ceux qui veulent des beaux et bons légumes poussés en plein air, à la bonne saison et qui y mettront les sous qu’ils mettent pas dans leur IPad. Le genre qui se dit qu’un IPad, ça coûte le prix de 10 kilos de foie gras supérieur et qu’il vaut mieux le foie gras. Si, si, y’en a.

J’ai pas parlé des pruneaux. J’aime pas trop ça. La prune, gonflée de jus, qui t’explose dans la bouche quand tu mords dedans, ça oui. Le pruneau, juste en bocal, dans un armagnac hors d’âge, oui aussi. Et sans modération. C’est des fruits. Cinq par jour dit le gouvernement. Alterne pruneaux à l’armagnac et griottes à l’eau de vie, c’est une exigence gouvernementale. Enfin, moi, c’est ma traduction des consignes étatiques.

On en reparlera… à Nérac, par exemple, sur la terrasse du château de Jeanne d’Albret. Ou à Casteljaloux, en souvenir de Rostand. Ou à Moncrabeau qui organise chaque année le championnat du monde des menteurs. Remarque, ils sont pas bons à Moncrabeau. Ils invitent jamais le petit Leclerc ou le patron de Carrefour. C’est pour pas déséquilibrer la compétition, j’imagine.

dimanche 17 juin 2012

PARLONS BANQUE

Je regarde avec plaisir l’effondrement de Bankia en Espagne. Je regarde parce que j’ai été un temps client de Caja Madrid, la grosse caisse d’épargne sur laquelle Bankia a été fondée. Suffit de regarder le logo de Bankia. C’est un ours, l’ours qui figure sur les armoiries de Madrid et que Bankia a repris de Caja Madrid.

Je dis que j’étais client, c’est pour rire. En fait j’étais prête-nom d’un copain qui faisait des affaires en Espagne et pour qui Caja Madrid était bien pratique. Il y a quinze ans, ouvrir un compte de résident étranger était enfantin. Tu allais chez Caja Madrid avec un copain connu du chef d’agence, il donnait son adresse comme étant la tienne, tu ne présentais aucun papier et hop ! tu avais un compte en banque espagnol inconnu du fisc français. Je n’en ai tiré aucun bénéfice financier. En fait, le copain affairiste était une copine et donc, les bénéfices étaient ailleurs. Le jour où nos chemins se sont séparés, je n’étais plus client de Caja Madrid.

La spécialité de Caja Madrid, c’était l’immobilier. Ils prêtaient à tour de bras pour qu’on construise. Normal, c’est le rôle habituel d’une caisse d’épargne. Aznar présidait l’Espagne. Il s’occupait pas d’immobilier, Aznar. Il avait quelqu’un pour ça, quelqu’un dont on ne parle plus. Esperanza Aguirre. Vous vous souvenez ? Allez voir sa bio sur Wikipedia. Y’a tout. Sauf l’essentiel.

Jolie femme, Esperanza. Quand je l’ai connue, elle était Présidente du Sénat. Elle avait organisé une fête pour son frère dans leur résidence de La Fresneda, au pied de l’Escorial. C’était la propriété où Philippe II recevait ses maîtresses. C’est dire que la famille ne manquait pas de patrimoine. Normal. La famille Aguirre est liée à une bonne partie de la noblesse espagnole (le mari d’Esperanza est Grand d’Espagne). Elle est surtout propriétaire du groupe immobilier Aguirre-Newman. Ça y est ? C’est plus clair ?

A l’époque, le groupe Aguirre était le promoteur n°1 d’Espagne et surtout de la région madrilène. Et donc, l’un des premiers bénéficiaires de la frénésie de crédit de Caja Madrid. Tout roulait à fond. Appuyé sur ses positions politiques, le groupe Aguirre se développait à une vitesse exponentielle. Vint le crépuscule d’Aznar. Esperanza, pas démontée, quitta le Sénat et prit la Présidence de la Communauté de Madrid. Ça tombait bien, la Communauté de Madrid est un gros décideur au sein de Caja Madrid. Le monde est bien fait, somme toute.

C’est la définition même de l’oligarchie : un bout de la famille en politique, un bout dans les affaires. Et la politique du pays se décide lors des dîners familiaux. Là, le calendrier est impeccable. Le chef du gouvernement, Rajoy, c’est un vieux copain d’Esperanza. Il va pas la laisser dans la merde avec sa caisse d’épargne plombée par les appartements non vendus par la famille Aguirre. Faut qu’il trouve une vingtaine de milliards, il va les trouver. Le peuple va payer.

C’est la faute à personne : juste une bulle qui a explosé. Dit comme ça, c’est que dalle. Tu vois une bulle de savon soufflée par un gosse et qui pète au soleil. Sauf que la bulle, c’est pas une bulle. C’est des mecs qui gagnaient des milliards en construisant des appartements pour lesquels il n’y avait pas de clients. En construisant avec l’argent public généreusement prêté par Caja Madrid.

Les spéculateurs de Caja Madrid, ils avaient un truc imparable : quand t’achètes un appartement, tu le fais par le biais d’une société immobilière. Si tu le loues, la société touche les loyers et rembourse son prêt. Si tu le loues pas, tu mets la société en faillite, Caja Madrid (ou Bankia) fait jouer l’hypothèque et se retrouve avec un appartement invendable.

Et donc, Bankia possède un énorme patrimoine immobilier. C’est des actifs pourris. Des biens sans acheteurs. Des biens vides. Personne ne prendra la seule mesure qui s’impose. Celle qui consisterait à dire à Bankia : on va racheter ton portefeuille immobilier pour alléger ta dette. Et ces appartements vides, on va les transformer en logements sociaux avec des loyers préférentiels. Ce serait bien : tant qu’à filer du fric à Bankia, l’Etat espagnol ferait des économies sur le logement social. Ça aurait du sens. Certes, ces appartements résidentiels, l’Etat les paierait sans doute plus cher que s’il les avait construits. Encore que… on pourrait serrer un peu le kiki de la banque.

Personne ne le fera parce que ça plomberait le marché de l’immobilier locatif. En clair, ça ferait baisser les loyers et tous les proprios qui ont spéculé pendant dix ans avec le fric public (j’en connais, j’ai des noms), ils verraient leur patrimoine s’effondrer. Exclu que les spéculateurs dérouillent dans un monde libéral. Et puis, ça reviendrait à mettre des pauvres dans des endroits pas faits pour eux. Et ça, même pas en rêve. Les municipalités accordaient à tour de bras des permis de construire pour attirer la classe moyenne, pas pour se gaver de cas sociaux. Même les municipalités de gauche, celles qui sont pour les pauvres mais chez le voisin.

Ainsi va le monde libéral. Y’a ceux qui perdent jamais et ceux qui perdent toujours.

On en reparlera…

jeudi 14 juin 2012

TOUT SE PAYE

Le pays découvre soudain Falorni, le rebelle de La Rochelle. Il se la joue belle, provincial pilonné par Paris, brave militant de base méprisé par l’appareil, petit manipulé par les gros. J’y crois pas un instant, bien entendu.

Falorni, c’est un proche de Hollande. Un tout proche. Il a été son mandataire pendant la campagne des primaires, c’est dire. Pour tenir les cordons de la bourse et les comptes de campagne, faut être un homme de confiance, non ?

Moi, j’ai mon idée. Falorni, il est toujours dans les comptes de Hollande. Aujourd’hui, il présente la note. A Ségolène. Tout se paye.

Je me mets à la place de François. Tu rencontres une jolie nana à l’école, tu la maries ou tout comme, tu lui fais quelques beaux enfants. Les carrières vont en parallèle, c’est le bonheur.

T’es moderne, progressiste, paritariste, la femme est l’égale de l’homme, youkaïdi, youkaïda. Monsieur députe en Corrèze, Madame en Charente. Jusque là, ça va. Mais voilà, au plus t’avances, au plus ça se resserre. Dans leur job, au bout du bout, y’a qu’un truc possible, l’Elysée. François, dans sa tête, il a pas de doutes. L’Elysée, c’est pour lui. Pourquoi ? Ben, parce que c’est lui, le mec. La parité, ça va avec les chiffres pairs. Or, UN, c’est un chiffre impair. Là, y’a plus de parité possible. Ajoutons qu’il est fin politique et qu’il sait bien que la France est pas prête pour une nana à l’Elysée.

Et, vlan ! en 2007, sa nana, elle s’y croit. Un peu aidée par ses courtisans, mais elle s’y croit. François, il se voit pas en prince consort. Déjà qu’elle doit avoir un peu la grosse tête Notre-Dame de la Bravitude. En postulant, elle le castre. Il devient rien, juste le compagnon de la chef. Je le comprends, François, y’a pas un mec qui peut supporter ça. A part, bien sûr, Monsieur Thatcher.

J’ai l’air de déconner. Mais réfléchis calmement et honnêtement : tu te vois, à la remorque de ta gonzesse ? D’accord, on a changé le Code civil. Mais on n’a pas changé les têtes. On veut bien partager un peu, torcher un peu les mômes, faire la vaisselle de temps en temps, mais faut pas exagérer. Et puis là, y’a un vrai pouvoir. LE pouvoir.

Alors, François, il s’est barré. Je suis bien certain qu’il s’est senti un peu humilié, mis au rancart, dévalorisé. C’est vrai : en 2007, j’ai ressenti une vraie compassion pour lui. On lui reproche de pas s’être impliqué dans la campagne de la compagne. What else ? Il allait tout de même pas tendre les ciseaux pour qu’on lui coupe les bourses. Il a réagi en homme bien élevé. Il pouvait pas taper, il a quitté le terrain.

Et aujourd’hui, il présente la note. Pour ça, il a ce brave Falorni. Il l’a viré du PS, histoire de lui laisser les coudées franches. Aubry, elle peut couiner. Falorni, elle l’a lourdé du parti, alors il l’écoute plus. Il a pas à lui obéir. Il reviendra au PS après son élection, discrètement. Pas tout de suite. Je l’ai écouté Falorni. Il a eu l’adjectif qui tue : arrogante. Le mot qu’aurait pu utiliser Hollande.

Notre Dame du Chabichou, elle a rien compris aux hommes. Elle se disait, bon, il a été élu, mais c’est mon ancien mec, le père de mes enfants. On a passé de belles années quand même. Elle voit pas que les belles années, elle les a rayées d’un coup. Hollande, c’est un politique et un grand. Baiser sa carrière, c’est pire, bien pire, que de le cocufier. En fait, c’est le cocufiage majuscule. La honte médiatisée. Un amant, il pouvait comprendre. L’Elysée, il pouvait pas pardonner. Elle affirme que c’est elle qui l’a viré. Peut-être. Peut-être aussi que c’est une posture. Ou qu’elle s’y croyait tellement qu’elle l’a collé au placard. Plus besoin de toi, dégage. Ego contre ego. Mais l’ego des mecs, c’est pas l’ego des filles. La baffe démange plus vite la main.

Ségolène va perdre. Hollande va avoir un mot gentil. Ou deux. Il sait vivre. Elle a intérêt à s’accrocher à sa présidence de région, pas sûr qu’elle la garde. A la prochaine élection, elle aura l’étiquette de perdante accrochée aux oreilles. Elle finira par comprendre que les ex, c’est gentil que dans les séries télévisées. Que la parité, c’est pour les autres. Que la vraie vie, c’est pas les discours qu’on tient.

Les commentateurs, parfois, ils déraillent grave. Y’en a un qui affirme que Valérie Trierweiler, elle est jalouse. T’as vu la tête de la nana ? Son parcours ? Tu crois vraiment qu’elle a des réactions de midinette shootée aux Feux de l’Amour ? Pour Hollande, Valérie, c’est ce que la Corée est à la Chine. Le partenaire chargé de tester les réactions. Le tweet à Falorni, c’est un message pour Ségolène. T’as perdu. Et tout à l’avenant. Aubry qui la soutient comme la corde soutient le pendu. Au bal des hypocrites, Ségolène, elle a le carnet de danses bien plein.

Y’en a même qui disent que c’est encore le mélange public-privé. Evidemment que non. Y’a pas de privé dans ce type de relations. La sphère privée, c’est juste une marionnette pour dissimuler une lutte politique. Qu’elle ait été sa nana, ça aggrave le cas, un peu. Pas trop. François, il commence son grand nettoyage pour 2017. Il va achever Mélenchon, faire aux écolos ce que Mitterrand a fait aux communistes. Fabius a compris que le costume de Talleyrand lui allait à merveille. Valls va savoir très vite que son horizon autorisé c’est 2022. Ségolène, c’était urgent. Elle est trop grande gueule. Elle se croit un destin national. Il fallait vite la réduire au silence.

Y’a quand même une question qui me taraude. Si elle perd, est-ce qu’elle pleurera ?

On en reparlera…..

mercredi 6 juin 2012

ON PARLE TROP, TROP VITE

Surtout moi. Je me suis frité avec Vincent Pousson avant d’aller voir sur son blog (http://ideesliquidesetsolides.blogspot.com.es) pour découvrir qu’on partage une même passion : la cuisine de Jean-Pierre Xiradakis.

Xiradakis est devenu une icône pour moi le jour où je suis allé professionnellement dîner chez lui, à la Tupiña, à Bordeaux. On m’avait dit tellement de mal de ce restau branché !! Facile, je déteste les restaus branchés et les effets de mode. Mais là, j’étais obligé. Fallait tester. Je suis arrivé râleur d’avance et bien décidé à flinguer le bonhomme.

J’ouvre la carte et je pense tomber du mal de macaque. De la sanquete ! Plus de vingt ans que je n’avais pas mangé de sanquete. La sanquete, c’est le plat traditionnel des petits déjeuners du dimanche en pays gascon. Anqui ! comme on dit à Bordeaux.

Le dimanche, c’est poulet rôti. Le poulet, on l’attrape dans le poulailler le samedi, on l’emmène à la cuisine et là, zouc ! on lui coupe la langue. Il se débat, il aime pas, mais on lui demande pas son avis. Il se vide de son sang, dans une jatte en faïence (chez moi, c’était une jatte en faïence populaire, avec des petites fleurs peintes à la main). Il bat des ailes, il proteste, mais ça dure pas. C’est pas hallal, on l’égorge pas et on n’est pas tourné vers La Mecque. Pas vers Lourdes, non plus. Après quoi, on le plume soigneusement, on garde les plumes, ça peut servir à faire des coussins, on le vide, bref on le prépare avec soin pour le four dominical.

Et le sang ? Ha ! le sang….. le sang, c’est pour la sanquete. Le dimanche matin, c’est sanquete pour les hommes, et surtout les petits d’homme dont je faisais partie. On fait frire de l’ail et dans la poêle fumante, on verse délicatement le sang du volatile. Au bout du bout, on obtient une galette rose et mousseuse qui fleure l’ail et les subtiles odeurs du sang cuit. Si vous n’avez jamais mangé, vous ne pouvez pas en avoir la moindre idée. Ma grand-mère affirmait que le sang, c’est bon pour la croissance des garçons. Mon grand-père se servait un grand verre de Madiran, moi j’avais droit au lait. Pas terrible le lait pour les arômes de la sanquete.

Le sang, c’est un gros mythe. Un mythe universel. Tous les peuples se sont gavés de sang, y compris le sang des ennemis. Tous les peuples savent que le sang, c’est la vie. Alors, un bon coup de sang, cru ou cuit, ça peut pas faire de mal. Jusqu’au sang du Christ. Il avait le sens de la communication, le fils de Dieu, il savait l’importance du sang. Au jour d’aujourd’hui, on bouffe plus de sang. Sauf dans le boudin, et encore…. Tu peux chercher un canard au sang sur les cartes, c’est pas demain la veille que tu trouveras.

Avec les abattoirs industriels, les volailles livides empaquetées dans du plastique, je pensais la sanquete disparue. Et voilà que je la retrouvais sur la carte de la Tupiña. Que croyez vous que je fis ? Je m’offris une plongée dans mon enfance. A mon âge ! Dans tout le Sud-ouest, y’a des cuistots communicants qui vous racontent qu’ils font de la cuisine traditionnelle. Traditionnelle, mon cul ! Pas un pour vous proposer de la sanquete. Sauf Xiradakis. En plus, avec ce nom qui pue la feta et l’huile d’olive rance.

J’ai soigneusement payé (pas être accusé de corruption) et je me suis présenté. Et là, on a parlé une bonne heure devant un armagnac hors d’âge. Xiradakis, il m’a ouvert sa cuisine et j’ai vu. Je me suis retrouvé chez ma Tante Marie (qui n’a plus mal aux dents depuis des lustres). Il y avait tout, surtout les confits. Et les haricots de maïs. Et même de la méture, ce pain de maïs landais légèrement aromatisé à l’anis. C’était pas une cuisine, c’était un conservatoire. Et le mec qui me parlait, c’était un barde ou un druide, un bonhomme ancré dans l’histoire gastronomique de sa région. Et un philanthrope. Ça se voyait pas trop sur la carte, la sanquete, il la vendait au prix du foie gras. Pourtant, il avait ouvert une épicerie populaire dans sa rue. Avec des sacs de 50 kilos de riz à prix canon pour les travailleurs maliens du foyer Sonacotra voisin. Il faisait payer les riches pour alléger l’ardoise des pauvres. Comment ne pas l’aimer ?

Depuis, il a poursuivi son chemin. Pour avoir de ses nouvelles, je vais parfois sur son blog (http://blog.latupina.com/). Rien qu’à le lire, je retrouve des odeurs. C’est dommage, c’est à Bordeaux. Ce serait mieux dans un village de la vallée des Gaves ou de Chalosse. Mais on peut pas tout avoir. Il affirme qu’il organise un tue-cochons, une tuère comme on disait chez moi. J’y crois pas trop. M’étonnerait que les autorités bordelaises, elles acceptent de voir égorger un cochon vivant dans les rues de la ville. Rien que les cris, les voisins, ils appellent le SAMU. Ou ils égorgent l’organisateur, l’homme ça crie moins.

Xiradakis et moi, on pense pareil. La différence, c’est qu’il est moins ayatollah que moi, il transige un peu, il fait avec son temps alors que moi, le temps, j’aimerais bien le remonter. Pas l’arrêter, le remonter. C’est normal. Avec le temps, dis, tout s’en va. Et ce qui s’en va, c’est perdu. On perd des techniques, des savoirs, des goûts, on perd de la culture. C’est dommage parce que rien ne nous dit qu’on n’en aura pas besoin demain.

Il est vrai que tout le monde s’en fout. Désormais, on ne partage plus des savoirs, on partage des émotions. C’est plus facile. Ça permet de faire du bruit avec la bouche. Et ça plait à Séguéla qui invente le Quotient Emotionnel. Moi, je peux pas. Mes émotions, elles sont trop intimes, trop personnelles pour que je les partage avec tout le monde, c’est à dire n’importe qui. On appelle ça la pudeur, mais c’est devenu un gros mot. Une information, un savoir, je peux partager. Plus l’information est originale, plus le savoir est caché, plus le partage est fort.

Je pleure souvent au cinéma et j’en ai honte. Heureusement qu’il n’y a pas de lumière. J’ai pas envie qu’on me voit à poil. J’entends d’ici les hurlements des psychophiles : il faut savoir se lâcher. Ben non. Il faut savoir se contrôler. J’en ai déjà parlé (http://rchabaud.blogspot.fr/2011/06/les-filles-ca-pleure.html).

Et donc, on en reparlera….

vendredi 1 juin 2012

FAISONS SIMPLE

Sur sa page Facebook, Les zinzins du zinc, ce bon Egmont Labadie nous conseille un texte de Vincent Pousson consacré à la syrah. Forcément, je bondis. Je ne supporte pas cette nouvelle vision du vin où le cépage devient l’alpha et l’oméga de la picole.

Vincent Pousson n’est pas en cause. Enfin, pas trop. On lui a commandé un texte sur la syrah, il l’a pondu. Plutôt bien, d’ailleurs. Je veux dire bien écrit, avec une approche intelligente et une illustration agréable. Mais, ce faisant, il a accepté de jouer sa partie dans un concert insupportable.

La mise en valeur du cépage est une tendance récente, moins de vingt ans. Elle est née aux USA et elle est fille du marketing. Les commerçants ont besoin d’arguments simples, surtout pour vendre du vin, objet complexe, à une clientèle inculte. Le cépage, c’est le degré zéro de l’œnologie. Do you want a glass of chardonnay ? Ben non. En tous cas pas du chardonnay de la Napa Valley. Un chablis, oui. C’est pas pareil.

Le cépage, c’est génial. Y’en a pas beaucoup, je veux dire des grands. Une petite quinzaine. Quinze noms, même un Australien peut retenir. Et puis, la promo est simple. Tu plantes quelques hectares en pinot noir dans un coin du Chili et tu dis sur un ton modeste que c’est le cépage de l’aloxe-corton. Ça te simplifie la vente ! L’épicier de Valparaiso, il a plus besoin d’aller à Beaune acheter son pinard. Plus facile aussi pour les bars à vins, parfois tenus par des gamins incultes qui vendent leur pichorre à des alcoolos snobs. Tu veux un verre de merlot ?

Le vin est fils de la terre. Fils d’une géologie plus ou moins complexe, d’une orientation des pentes qui joue avec le soleil dans un climat donné, de vents subtils, de pluies changeantes. Raison pour laquelle, il y a de grandes années et des années épouvantables. Gross malheur pour les commerçants qui veulent la même qualité d’une année sur l’autre. La constance est la base du commerce quand la différence est la base du savoir.

J’aimerais que Vincent Pousson s’intéresse un peu aux travaux de Paul Boglio sur la syrah, précisément. Paul fut pendant vingt ans œnologue à l’INRA où il avait été chargé d’une délicate mission : l’indemnisation des vignerons sur le trajet du TGV. Ça a coûté bonbon à la SNCF, je peux vous le dire, quelque chose comme le prix d’un beau viaduc.

C’est que, dès la mise en service du train, les vignerons se sont aperçus que les vignes souffraient. Le TGV, ça déplace de l’air, croyez moi. Le long des voies, les vignes soumises à ce vent récurrent ont commencé à souffrir. A moins produire et à produire moins bon. Les vignerons ont protesté et la SNCF a demandé une étude à l’INRA. Les vignerons ont eu du bol. Paul était fils de vigneron et il connaissait le vin sur le bout de la langue. Et donc, il a modélisé les pertes, quantitatives mais aussi qualitatives. Il a modélisé quasiment parcelle par parcelle, pour être le plus juste possible. D’ailleurs, personne n’a contesté ses résultats et surtout pas les vignerons qui l’ont vu passer des heures dans les vignes, goûter les échantillons, tester ses résultats. Il m’a raconté et c’était passionnant. Dans certains lieux, l’effet TGV pouvait se faire sentir à plusieurs kilomètres de la voie. Dans d’autres, c’était plus limité. Et puis ça dépendait de la météo, du soleil, des vents « naturels ». Une complexité infinie. Paul, il a bossé plus de dix ans sur le sujet.

Et pourtant, cher Vincent Pousson, les cépages étaient les mêmes. Pinot noir au nord, syrah au sud. Faut-il d’autres preuves pour admettre que le cépage est une notion secondaire ? Songez qu’en Bourgogne, pour qualifier un terroir, on parle de « climat ». Est-ce que ce simple fait ne suffirait pas ?

J’ai de la chance. Mes vins préférés, ils sont tous issus d’un cépage antique et vénérable que les Américains ne connaissent pas : le courbu, que les Basques appellent curizketa. Un cépage relicte limité au Sud-ouest. Il y a encore quelques années, un cep de courbu plus que centenaire ombrageait une terrasse de bistro, place de la Victoire à Bordeaux. Un cep de courbu alors que voici beau temps qu’il n’y a plus de courbu dans les vignes du Bordelais. Là encore, je dois l’information à Paul Boglio qui se demandait ce que ce courbu fichait là. Vieux cépage romain ? Peut-être. Peut-être pas. Ce courbu donne au nord des Pyrénées des blancs moelleux, jurançon ou pacherenc. Au sud, des blancs âpres dont mon cher txakoli. Alternez donc txakoli et pacherenc, vous verrez si le cépage se reconnaît aisément et si vous oserez ensuite demander « un verre de courbu ».

L’ampelographie est science difficile. En Galice, vous boirez des vins des Rias Baixas ou de la vallée du Sil dont le cépage est l’albariño. L’étymologie est facile : ça veut dire « blanc du Rhin » et, de fait, les saveurs du gewurztraminer sont présentes. Je n’ai pas trouvé d’étude ADN sur le sujet. Ce que je sais, c’est que le cépage est arrivé entre le XIème et le XIIIème siècle avec les moines cisterciens. Des Bourguignons. Dès le début de la Reconquista, ils sont arrivés en Espagne pour couvrir le pays d’abbayes. Or, la première chose que plante un moine, c’est une vigne. Dame ! faut du pinard pour dire la messe. Les Bourguignons, ils sont arrivés avec leurs pieds de vigne. De Leyre à Santo Domingo del Sil, ils ont tissé leur réseau. Avec quels cépages ? L’ADN le dira bien un jour. Ce dont on peut être sûr, c’est qu’en dix siècles, ces cépages ont évolué en fonction du climat et du sol. Certains pieds ont pu aussi être remplacés. Mais le lien historique est là.

Comme en Rioja dont les propriétaires ont utilisé les cépages bordelais au milieu du XIXème siècle, avant de les renvoyer dans leur terre natale après le désastre du phylloxéra. Le vin, c’est ça : des rapports culturels autant que culturaux, des influences du sol, du climat, des pratiques agricoles : en Rioja, on ne palisse pas les vignes pour que leur taille en buisson les protège du soleil, plus ardent, et du vent, plus siccatif. L’avantage, c’est que ça empêche la mécanisation. La mécanisation, encore un sujet à creuser, par ailleurs.

Avec tout ça, on n’a pas parlé des vins d’assemblage. L’horreur absolue pour un commerçant débile. Plein de parcelles, avec des cépages différents. Selon le climat de l’année et l’âge des vignes, on va rajouter un poil de cabernet ou un doigt de merlot. Sur quels critères ? Un seul : l’opinion du maître de chais. Y’a pas de machine pour ça. Il ne faut que du savoir, du goût et de l’expérience. Pour faire un vrai vin, un Cheval-Blanc ou un Saint-Julien, il suffit (?) d’un homme. Comment tu veux expliquer ça à un marchand de bagnoles du Kentucky ? Ou même à un bobo du Marais qui veut tout le savoir, tout de suite, sans payer et sans bosser ?

Et donc, Vincent Pousson me demande de ne pas schématiser. Comme si avec mon petit savoir et mon doute hyperbolique je pouvais schématiser. Au contraire. Pour le vin, comme pour le reste, je hurle devant la simplification outrancière. En gros, c’est devenu : si tu connais le cépage, tu connais le vin. Ben non. Tant que tu n’as pas appris l’histoire, le sol, le climat, tous ces paramètres qui font que le Languedoc ne sera jamais la Bourgogne, tu ne connaitras pas grand chose. Idem pour la charcuterie ou les légumes. Le cochon et la sucrine sont aussi des enfants de la terre.

Je conçois, c’est dur d’aimer un truc et de ne pas pouvoir en parler avec assurance. Surtout quand t’es journaliste et en position de devoir diffuser un savoir complexe. Si t’es honnête, tu vas insister sur tes lacunes. Le lecteur, il aime pas. Il veut apprendre. Et donc, tu gommes tes lacunes, tu vas au plus simple. En fait, on te demande pas du savoir, on te demande un discours. Alors, tu le ponds.

Tu ferais ça avec la physique quantique ? Ho ! c’est pas pareil. Si. C’est pire. L’œnologie fait intervenir tant de savoirs dont certains bien incertains qu’on n’est jamais sûr de rien. Dur dans un monde qui baigne dans les certitudes de Wikipedia.

Moi, je n’ai qu’une certitude basée sur ma propre expérience. Je n’ai jamais vomi un grand vin après consommation excessive. Jamais. Mais je n’ai rien trouvé sur le sujet.

On en reparlera…