dimanche 20 mai 2012

LES FAITS PERVERS

J’ai trouvé un truc marrant sur Internet. Les sources ont l’air bonnes et les faits sont vraisemblables.

Après la guerre, la seconde et dernière dit-on, l’armée et la gendarmerie avaient un souci de modernisation. La modernisation passait par la mécanisation et on décida de développer les brigades motocyclistes. Seulement voilà : les motos étaient chères.

Un petit malin, c’est à dire un grand gestionnaire, découvrit la solution. Acheter des motos BMW et faire passer la facture au titre des dommages de guerre. Les dommages de guerre, contrairement à ce qu’on croit, c’est pas des sous ou des lingots. On a démonté des usines, récupéré des brevets....et importé des motos. C’est du troc et les motos étaient gratuites. L’Allemagne payait la facture.

Y’avait juste un hic. La France avait une industrie motocycliste. Peugeot, Gilera, Terrot, Gillet, Gnome et Rhone, Talbot et quelques autres. Des ouvriers compétents mais des usines détruites ou obsolètes, des cadres, des sociétés qui auraient pu fournir nos braves gendarmes. Sauf qu’il fallait payer les motos, fournir du travail aux ouvriers, reconstruire les usines, en un mot utiliser l’argent de l’Etat pour rebâtir une industrie nationale. C’était beaucoup moins cher (et pour cause !) d’importer des BMW.

Les grands gestionnaires sont des cons. Ils ne voient pas plus loin qu’un spalax (on en reparlera du spalax, le rat-taupier, plus malvoyant qu’une taupe vu qu’il est quasiment aveugle). Pour leurs petites économies minables et à court terme, ils sont capables de tuer des pans entiers du tissu économique.

Privées des commandes de l’Etat, les usines françaises fermèrent les unes après les autres. Mieux encore, les particuliers furent persuadés que si l’Etat équipait ses gendarmes en BMW, c’est que ces motos avaient des qualités que les Françaises n’avaient pas. Ainsi construit-on une image qui dure encore soixante ans après. Tuées industriellement, les firmes françaises virent également leur réputation décliner. A la fin des années 1950, il n’y avait plus sur le marché une seule moto française.

Quand se produisit l’expansion explosive du marché de la moto au début des années 1980, la France était une terre vierge que les Nippons envahirent goulument. Là, faut dire qu’on a pas fait de protectionnisme. Y’avait plus rien à protéger. Je n’ai pas cherché le montant des importations de motocycles dans ces années-là et depuis, mais ça doit peser un bon paquet de millions dans notre dette.

C’est des trucs sur lesquels on devrait réfléchir un peu parce que c’est caricatural. Les minables économies des grands gestionnaires, elles se sont transformées en dettes, en chômage, en destruction de valeur. Je suis certain que ce fut pareil pour les usines démontées et récupérées. On a récupéré des machines d’avant-guerre ce qui a obligé les Allemands à refaire des machines pour l’après-guerre. On a rebâti une industrie vieillotte, ils ont inventé une industrie moderne. On continue de le payer.

Les grands gestionnaires n’ont aucune imagination. Ils ont flingué le monorail de Bertin pour des raisons de coût immédiat sans voir ce que ce train révolutionnaire pouvait apporter dans le siècle à venir. Les grands gestionnaires raisonnent sur le budget de l’année et sur les profits du semestre. C’est bien pour un épicier, pour un gouvernement, c’est nul.

On a déjà parlé de pleins de faits équivalents. Les pertes de Sud-Aviation se sont transformées en bénéfices d’Airbus. En 1960, c’était pas gagné, il fallait une vraie vision de l’avenir.

Les discussions sur les retraites sont du même tonneau. La droite nous dresse un tableau apocalyptique d’un monde de centenaires en poursuivant sans réfléchir les courbes de l’espérance de vie. Personne ne nous dit que l’espérance de vie risque de diminuer. L’agro-alimentaire s’en occupe et nos gosses obèses vivront moins vieux que nous. Dans certains pays, ça commence. Ho ! je vous rassure, l’inflexion est à peine perceptible, mais je suis prêt à tenir le pari.

Penser demain avec les infos d’aujourd’hui, c’est stupide. Mais, mééééh, bêlent les gestionnaires ovins, on n’a pas d’infos sur demain. Ben non. Faut imaginer, faut parier, faut réfléchir. Parfois, il faut décider une direction et s’y tenir, contre vents et marées. Depuis Boudon (et le titre est un clin d’œil) on sait que la prise de décision ne peut pas être rationalisée. Les « prévisionnistes » sont juste des gens qui poursuivent des courbes sans penser que la courbe peut changer. On en a déjà parlé : le père Ghosn qui veut faire des autos pour les pauvres qui ne pourront pas payer l’essence vu qu’elle sera trop chère. Faut être con quand même….

En ce moment, je pense à ce pauvre Montebourg. Il faut qu’il construise la France industrielle de la fin du siècle alors que son horizon, c’est 2017. C’est pas gagné. Il va s’entourer d’experts pour ravauder un tissu industriel que nous détruisons depuis plus de trente ans. Je me souviens d’un bon mec, sympa, bon vivant, intelligent, qui était devenu un copain. Ingénieur spécialiste du textile, il a été le démanteleur de la bonneterie troyenne. A l’époque, le maire actuel de Troyes, un certain François Baroin, usait ses culottes au collège Stanislas. Mon copain Siegfried, son boulot, c’était de démonter les usines et de les envoyer dans des pays où l’ouvrier ne coûtait pas un kopeck. Son discours était impeccable : on gardait la création, le styling, tout ce qui fait la réputation française et les Marocains ou les Tunisiens se tapaient le sale boulot. La valeur ajoutée restait chez nous. A l’époque, à la fin des années 70, la Chine n’existait pas. C’est pas les Marocains qui allaient nous copier !!!

Et donc, avec les éléments dont il disposait, Siegfried avait raison. Quarante ans après, le désastre nous apparaît. Nous n’avons plus d’industrie textile, plus d’usines, plus de savoir-faire, plus d’ouvriers. Sans les Chinois, on irait à poil, ou presque.

Montebourg, c’est mission impossible. Récupérer en cinq ans quarante ans de destruction programmée, même pas en rêve. Je sens que je vais m’apitoyer. Il ne peut y arriver qu’en mettant des baffes au patronat. Je veux dire qu’il va falloir être coercitif. C’est pas très à la mode, comme idée. Il ne peut y arriver qu’en investissant, c’est à dire en dépensant aujourd’hui un pognon qu’on n’a plus (et pour cause) en espérant qu’il rapporte. Tout le monde va lui tomber dessus. Je pourrais déjà écrire les papiers des experts du style de François Lenglet, l’homme qui dit plus de conneries qu’il n’a de cheveux. Lenglet, il donne raison à tous ceux qui pensent que les neurones, ça sert à faire pousser les tifs. Mais, il n’a pas de tifs ! Justement.

Il faut arrêter de penser que le monde change. C’est l’écume qui change. Au fond du fond, un pays qui ne peut plus se nourrir et s’habiller est un pays mort. Comme jadis.

On en reparlera…

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