lundi 28 mai 2012

LES ENFANTS EN DIFFICULTE

Dans l’école du petit, c’est le branle-bas de combat. Un poste de Rased a été supprimé. Vous savez, le Rased, le Réseau d’Assistance aux Enfants en Difficulté. Ça mobilise ferme. C’est vrai, quoi, faut aider les gosses.

Je me sens pas concerné. Le petit, il a pas de difficultés. Il parle bien, a du vocabulaire, connaît ses chiffres, a commencé à faire des additions, il sait écrire, bref tout va bien. Trop bien : la directrice de l’école nous déconseille de le faire travailler pendant les vacances, qu’il prenne pas trop d’avance sur le programme. J’ai du mal à comprendre. Une dame qui est payée pour que les gosses apprennent s’inquiète qu’ils apprennent trop. Elle travaille pas sur l’apprentissage, elle travaille sur la cohérence du groupe. Pas confondre. Profondément, je suis pas contre. J’ai pas envie que mon fils soit un cancre, j’ai pas envie non plus qu’il soit le bon élève sur lequel se cristallisent les rancœurs.

Le petit, il a pas de difficultés parce qu’on s’en occupe. Surtout sa mère, faut être juste. Elle joue beaucoup avec lui, lui achète des livres, lui raconte des histoires. Moi, je m’occupe plutôt de la partie électronique. Il a appris ses chiffres en jouant au solitaire, si t’inverses le 7 et le 8, l’ordinateur refuse. Et pour comprendre les messages du Mac, faut savoir lire. Obligé. Alors, il s’y est mis. On va comme ça, du papier à l’octet, l’un renforçant l’autre. On visite les musées de son âge et on essaye de lui expliquer. On est des parents normaux.

Faut dire qu’on a une conception un peu vieillotte de l’enseignement. On voit ça comme une collaboration entre parents et enseignants. Le môme, l’institutrice elle lui apprend des trucs. Nous, à la maison, on révise, on recommence, on essaye de nouvelles pistes, on tente de construire un va-et-vient entre l’école et la maison. Ça marche pas toujours, mais c’est pas grave.

Ha ! me dit la militante grisonnante à qui j’avoue mon incompréhension. Vous vous rendez pas compte ! Tous les parents peuvent pas faire ça ! Y’en a qui parlent pas le français. D’autres qui sont illettrés. Elle me prend pour une pipe, la vieille ! Je le sais bien. Je fais les lettres de mon voisin sénégalais (http://rchabaud.blogspot.fr/2012/04/mon-voisin.html). Je sais bien que Mohammad Affad, le copain de mon fils, il vient du Pakistan et que dans l’hôtel social où il loge avec ses parents qui causent que l’ourdou, il a pas vraiment les armes qui le conduiront en hypokhâgne. Et même les autres. Je les entends parler à leurs gosses. Ils s’efforcent mais parfois, ça manque un peu de matière. Faut dire que c’est pas évident.

Sauf que ma militante blanchie sous le harnois, comme beaucoup de militants, elle a oublié ses neurones à la maison. J’essaye d’être gentil. Je lui parle doucement. Et donc, chère petite Madame, vous êtes en train de m’expliquer que ce ne sont pas les gosses qui sont en difficulté, mais les parents. Ce sont eux qui ont des difficultés à jouer leur rôle de parents. Et, par voie de conséquence, votre réseau, il ferait mieux de s’occuper des parents.

D’abord, ce serait plus efficace à terme. Ces parents incapables, ils sont jeunes pour la plupart. Ils vont se reproduire à nouveau. Si on les aide à aider l’aîné, ils aideront mieux les cadets, c’est obligé. Former les parents, c’est aider, non pas un gosse, mais une fratrie. C’est vachement plus malin. Faut faire un réseau d’aide aux parents, pas aux enfants.

Aïe ! ça coince. Ma militante, elle est pas contre. Mais c’est pas possible. On peut pas demander aux parents de retourner à l’école. C’est dévalorisant. Houla ! c’est dévalorisant d’apprendre ? Première nouvelle. Le papa Paki de Mohammad, ce serait pas bien pour lui d’apprendre le français ? Je veux dire dans la vie quotidienne, pour faire ses courses ou trouver un boulot ? En plus d’aider son gosse.

Oui, mais non. La militante, elle me prend pour un demeuré. Elle m’explique que, chez ces gens-là (bonjour Brel), les gosses, c’est du domaine de la mère et que c’est difficile d’éduquer les mères. Les pères sont pas chauds pour l’enseignement des femmes. Hé ! Ho ! il est plus à Karachi, le papa. Il est à Paris. Et à Paris, on éduque les femmes. C’est comme ça. Et s’il a des filles, on les éduquera. Et peut-être même que les filles, elles réussiront mieux que leurs frères. Elle doit comprendre ça, la suffragette aux cheveux d’argent.

Oui, oui, elle comprend, mais on peut pas les forcer. Pourquoi ? J’avais oublié. On peut pas forcer les gens. C’est un gros mot. Mais vous avez essayé ? Ben non, elle a pas essayé. Ce qu’elle me dit, c’est juste des arguments de militant coincé. Elle y avait pas pensé, c’est aussi simple que ça. Le Rased, c’est ce qu’il y a de plus facile. Tu dis aux parents que l’école va garder les gosses un peu plus longtemps, ils sont pas contre en général, surtout s’ils sont quatre dans une pièce. Tu t’occupes d’enfants, c’est attendrissant, ça fait mouiller les yeux des amateurs de Delarue.

Par contre, organiser des cours pour des parents de langues et de niveaux différents, les faire venir après le boulot, vers 19 ou 20 h, c’est autre chose. Faut que l’école ouvre plus tard, que les enseignants se passent de David Pujadas, que les parents aménagent leur emploi du temps, c’est pas vraiment la même logistique, pas vraiment les mêmes compétences.

Je vais finir de l’horrifier, ça illuminera ma journée. C’est facile : y’a qu’à soumettre les prestations sociales à l’obligation de formation. Je regarde sa tête. Elle est en train de me classer quelque part entre Goebbels (Joseph) et Le Pen (Marine), elle perd son souffle. Et elle a une réaction normale de militante outrée : elle me tourne le dos et va prêcher ailleurs. Sans me saluer. La politesse n’est pas au programme du Rased.

On commémore en oubliant. C’est vrai que Ferry (Jules, pas Luc), il a rendu l’école obligatoire. Vraiment obligatoire. Il n’y a pas si longtemps, j’ai connu un instituteur de campagne qui allait chercher les gosses dans les fermes et engueulait les parents qui préféraient les voir donner un coup de main aux champs. Il avait même organisé des visites des gendarmes chez les récalcitrants. Il est vrai qu’on avait peur des gendarmes en ce temps-là. Un peu de bâton donne du goût à la carotte.

J’aime bien le papa Paki de Mohammad. On parle pas trop vu l’étendue de son vocabulaire. Je sais qu’il a du mal avec Pôle Emploi. Forcément. Son conseiller, il a pas du faire ourdou première langue. Il cherche avec ses copains, dans sa communauté, là où il peut parler. Il va finir par trouver un petit boulot, plus ou moins légal. Il ne quittera pas son ghetto. Mohammad, il commence à se démerder en français. Il va apprendre, pas aussi vite, pas aussi bien, mais il finira par s’intégrer, tôt ou tard. Au mieux, il aidera son père. Au pire, il le rejettera. Peut-être même qu’il en aura honte, ça s’est vu.

Une politique familiale, ça doit concerner les familles. Pas un membre isolé. Ça sert à rien, sauf à agrandir les fractures et à faire péter le lien social. C’est pas Mohammad qu’il faut aider, c’est toute sa famille. Je sais, c’est plus difficile. Mais une société qui va au plus facile, elle est mal barrée, croyez moi.

On en reparlera…

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