dimanche 20 novembre 2011

VALERY ET NICOLAS, REZA ET MOUAMMAR

L’Histoire bégaie. A peine Khadafi exécuté, voilà t-y pas que le CNT annonce que la loi fondamentale de la Libye est désormais la charia et que toute loi contraire à la loi islamique sera déclarée anticonstitutionnelle. Merci Nicolas ! Merci BHL ! Fallait le dire que c’est ce que vous vouliez… La semaine dernière, BHL déclarait qu’il était heureux, que le CNT était composé d’intellectuels, de juristes. Il avait juste oublié les curés. Là-bas, on dit les imams, mais c’est du pareil au même.

Souvenez-vous. En 1978, l’ayatollah Khomeini vient s’installer en France avec un visa de touriste. Il est accueilli à bras ouverts, s’installe à Neauphle-le-Château et intensifie sa propagande contre le Shah d’Iran. Pour les intellectuels et les humanistes français, le Shah d’Iran, c’est le Diable. Bien sûr, c’est un gros client. Bien sûr, il est francophile. Mais c’est un dictateur, il modernise son pays d’une main de fer. Il fait des trucs invraisemblables contre son peuple. Par exemple, il supprime le calendrier islamiste lunaire pour installer un calendrier solaire, comme en Occident. Non, je déconne. Il a une vraie police politique et vaut mieux pas s’opposer à lui.

Notre Président d’alors, c’est Valéry Giscard d’Estaing. Il sait pas trop qui va gagner, alors il conserve deux fers au feu. Il pourrait expulser Khomeini, mais on ne sait jamais. Imaginez qu’il remplace le Shah : si on est copains, on garde les contrats. Il paraît (mais on n’a qu’une source, le patron des Services Secrets, c’est dire la fiabilité de la source) qu’il aurait proposé au Shah de l’expulser et que le Shah aurait refusé. Il paraît aussi (et d’après la même source) qu’il aurait proposé de le supprimer et que le Shah aurait refusé. C’est pas très cohérent : un dictateur qui refuse l’élimination d’un opposant, c’est pas un dictateur. Bref, Giscard protège Khomeiny tout en faisant semblant de pas trop le protéger. Il se prend pour Machiavel, crâne d’œuf.

La suite, on la connaît. Le Shah se fait virer, Khomeiny retourne en Iran dans un avion prêté par la France et installe une République islamique. On va garder quelques contrats. A l’époque, on nous a affirmé que le peuple iranien nageait dans le bonheur et que Giscard était le bras armé du bonheur iranien. Armé de cailloux pour la lapidation, mais ça, il le savait pas encore.

C’est assez dans le mental de Giscard. Giscard, il se prenait pour un humaniste parce qu’il aimait les curés. Je sais pas si vous avez remarqué mais les humanistes sont rarement laïques (à part Onfray, mais c’est une autre histoire, faudra creuser). Ils ont tous une tendance à mettre de la « spiritualité » partout. Spiritualité, c’est un mot valise, bien pratique pour réintroduire l’irrationnel dans le raisonnement. Le curé (ou l’imam, ou le bonze, ou le rabbin), c’est un porteur de spiritualité. On te sort toujours les mêmes, l’abbé Pierre, le Dalaï-Lama, le curé d’Ars, Maïmonide, Averroès. Jamais Torquemada, Ignace de Loyola ou Khomeiny. On refuse de voir que les porteurs de spiritualité sont juste le drapeau des allumeurs de bûchers et des lapideurs de gonzesses, le bouclier derrière lequel les voyous s’abritent. Même les bouddhistes : régulièrement, dans la Chine ancienne, les moines bouddhistes sortent en armes de leurs monastères et vont faire le ménage chez les incroyants.

Le problème du religieux, c’est qu’il est prosélyte. Il a envie que tout le monde croie au même Dieu que lui. Si c’est pas le cas, il crée l’Inquisition, histoire de favoriser la croyance. Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens. Pour un religieux, la mort c’est pas grave vu que Dieu te garantit la vie éternelle. Le mec normal, comme toi et moi, il trouve la garantie un peu faible. T’as juste un mec avec une robe (soutane noire, robe safran, le religieux aime bien se déguiser en nana) qui te donne sa parole en te promettant le Paradis. S’il se goure, tu t’emmerdes sur Terre pour rien. Les philosophes vont t’expliquer qu’il faut tenter le « pari pascalien ». Ça veut dire que t’as rien à perdre à croire en Dieu. Ben, pas vraiment. T’as à perdre le plaisir, la grasse matinée plutôt que la messe, un bon coup de rouge si Dieu t’interdit le pinard ou un coït furtif avec ta voisine vu que toutes les religions ont des interdits sexuels. Ça, c’est du sûr. Après la mort, on sait pas.

Forcément, le croyant, il t’envie. Tu te tapes un bon Saint-Emilion quand il lape de l’eau, ça l’énerve. T’enfiles ta copine pendant qu’il s’abime les genoux sur un prie-Dieu, ça l’excite. Plutôt que de faire comme toi, il veut t’imposer de faire comme lui. Et si tu refuses, il te zigouille. T’as droit au bûcher s’il y a des forêts ou à la lapidation s’il y a des cailloux.

Le curé (ou l’imam, le bonze, le rabbin, le sorcier), il a envie de gérer ta vie. Pour ça, il a la Morale qui te garantit la vie éternelle. Morale religieuse forcément mais que les sociétés ont assimilé à la Morale générale. Alors, le politique il aime les curés, même si ce sont des imams, parce que la Morale, c’est une garantie de stabilité. Et les imams, même si ce sont des curés, ils aiment le politique qui les aide à asseoir leur pouvoir. Jadis, on parlait de l’alliance entre le sabre et le goupillon. Ça marche toujours. Aujourd’hui, c’est un peu plus le Coran et la kalachnikov, mais c’est juste une question de sémantique.

On est cernés. La Libye proclame la charia, Ennadha est le parti dominant en Tunisie, les Frères Musulmans sont à l’affût en Egypte, Israël se radicalise, partout la religion reprend le pouvoir. Non, je ne citerai pas Malraux. Je n’ai pas envie de banaliser la situation.

Mais alors ? Il fallait laisser faire la police secrète du Shah ? Il fallait laisser Khadafi massacrer à tout va ? Non, bien entendu. Je voudrais seulement qu’on regarde calmement la question. On sait ce qu’on perd. Ce qu’on va avoir c’est un pari. Ouais, comme Pascal qu’était un philosophe. On parie que ça va être mieux. Qui nous l’assure ? Ben, Dieu, évidemment.

Depuis des années, on s’est tapé un beau glissement sémantique. On a considéré que l’Islam, c’était pas vraiment une religion. Plutôt un ensemble de coutumes respectables. Moyennant quoi, une députée UMP a déposé un projet de loi pour que la Sécu prenne en charge la circoncision. Pourquoi pas le baptême ? Avec des coups comme ça, on banalise la religion, on la fait entrer dans le monde social. C’est à dire à l’endroit exact où elle ne devrait pas être.

Seulement, voilà… Tous nos politiques sont, plus ou moins, empreints de religion. Sarkozy va voir le Pape, Boutin et Bayrou vont à la messe, Marine Le Pen attaque l’Islam pour défendre la chrétienté et le PS vise l’électorat musulman. On n’hésite pas à parler de « vote juif » qui s’articulerait autour du soutien à Israël. J’ai oublié le nom de ce Président mexicain, fervent catholique, qui refusât de recevoir le Pape au motif que, comme Président, il devait garder sa neutralité. Pourtant, au Mexique, le catholicisme est largement majoritaire.

Si on tient compte du fait religieux, on ouvre grandes les portes de l’intolérance, du prosélytisme et de la destruction du lien social. Une société, c’est des gens qui croient différemment, qui pratiquent (ou ne pratiquent pas) différemment, qui bouffent différemment, qui s’habillent différemment. On n’a pas à privilégier les uns contre les autres.

On n’a surtout pas à corriger les inégalités entre religions. Tu n’as pas de lieu de culte ? Démerde-toi, c’est ton problème de croyant. Vous êtes beaucoup ? Ben, ce sera plus facile, la quête sera plus productive. En tous cas, c’est pas mon problème d’athée et ma pensée vaut la tienne.

Faut pas faire semblant de découvrir les choses. Le mec qui arrive de Libye en France, il sait bien qu’il arrive dans un pays historiquement chrétien et politiquement laïque. Comme l’expat en Arabie Saoudite, il sait qu’il arrive au pays de la soif et du repos le vendredi. C’est pas vraiment une surprise. Tu fais avec ou tu viens pas. T’es un homme libre de tes choix.

Toute religion est privation de liberté. Au lieu de citer Malraux, crions avec Voltaire « Ecrasons l’infâme ». Bon, admettons, on a évolué. Ignorons, n’écrasons pas. Laissons les croyants se démerder avec leurs croyances, ce ne sont pas d’innocentes coutumes. Et rappelons à tous les zélateurs de la religion que la Révolution française s’est faite contre la religion. Qu’on habillait des ânes avec des chasubles pour blasphémer volontairement car le blasphème n’était plus un délit (et ne l’est toujours pas). Rappelons que les fêtes patronales ont été supprimées et qu’on fêtait l’endive ou le topinambour plutôt que St Charles ou St Hubert. Rappelons que si on se veut l’héritier de cette gauche et de cette liberté, on a le droit de brûler ses crucifix et de jeter les prétendus livres saints dans la fosse à purin. Si tu veux garder ta Bible, tu peux. Dans ta table de nuit. Pas dans la rue. Et cesse de faire l’aumône. Depuis 1789, il y a un gouvernement pour régler les inégalités. Et ne soyons pas fiers d’être humanistes. C’est aussi une croyance.

Dieu est tapi dans nos cerveaux. Commençons par l’éradiquer de là. Et soutenons ceux qui l’ont déjà fait. J’ai interviewé la semaine dernière une jeune fille, syrienne et chrétienne. Elle soutient Bachar el-Assad. Elle admet que ce n’est pas un parangon de démocratie. Mais elle vit tranquillement en Syrie. Elle, sa famille, ses amis. Elle tremble de le voir disparaître car elle craint les conséquences. Elle sait que son départ conduira à un gouvernement islamiste et que les persécutions suivront. Elle voit se profiler une évolution à l’iranienne. Est-ce ce que nous voulons ?

Le premier pas vers la démocratie reste, encore et toujours, l’éradication du religieux.

On en reparlera…..

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