mercredi 14 septembre 2011

LE TIERS ET LE TERTIAIRE

Celle-là, ça fait bien cinquante ans qu’on l’entend : une société « moderne » est une société basée sur le secteur tertiaire. Le progrès, c’est les services. L’évolution est belle comme une fresque stalinienne. Au début, quasiment au néolithique, c’est le secteur primaire qui domine. Dame, faut bouffer. A n’importe quel prix. Si vous n’avez rien de mieux à faire, relisez La Bruyère sur le sujet.

Après, on progresse. L’Homme se redresse. Le secondaire domine. La production industrielle, les marchandises, c’est le monde des pue-la-sueur, le monde du prolétariat. Là, on rigole moins. C’est aussi le monde des syndicats et de la lutte des classes. Le vocabulaire s’adapte et la jacquerie devient révolution. Bon, faut en passer par là, c’est l’étape de l’accumulation primitive de capital. On réprime comme on peut, mais tous ces mecs qui veulent sans cesse plus, ça fatigue le dirigeant.

Et donc, la troisième étape, celle des lendemains qui chantent et du bonheur par la consommation, c’est l’étape des services. Que des mecs bien élevés, des qui ont pas le marteau à portée de main pour t’en filer un coup sur la gargoulette, des qui sentent l’after-shave et qui bossent pour se payer l’after-shave. Des qui disent « merci, patron » et « d’accord, patron » parce que tu leur as fait croire qu’ils ont le profil pour devenir patron. Suffit qu’ils obéissent et qu’ils soient bien élevés. C’est le bonheur, Jean-Pierre Pernaut sourit, Benabar bouffe des pizzas et le PSG arrive à battre une équipe d’amateurs luxembourgeois.

Y’a quand même un hic. Le service, ça produit rien. Le restaurateur, il te rend le service de te faire à bouffer mais il faut quand même un plouc pour produire ce qui va remplir l’assiette. C’est trivial, mais c’est comme ça. Pas grave, on sous-traite, on externalise, on délocalise.

Joli modèle mais pas très réaliste. Le monde a plus besoin de papier-cul que d’idées. Y’a pas beaucoup de gens qui pensent mais tout le monde défèque. C’est bien de se débarrasser des contraintes matérielles, mais le retour du boomerang n’est jamais loin. Et puis, si t’as des problèmes de transit, tu réfléchis moins bien. On devrait s’intéresser à la production intellectuelle du constipé.

On y est. Faut relancer la croissance. Faut recréer de l’emploi. Ouais. Dans les services ? Ben oui, faut des consultants, des gens qui pensent à comment on va recréer de l’emploi. De toutes façons, on peut pas recréer de l’emploi dans l’agriculture, on a quasiment plus d’agriculture et ce qui reste ça rapporte rien. Bon. L’industrie, alors ? Ben non, on a quasiment plus d’industrie et ce qui reste, faut savoir que ça coûte par rapport aux usines slovaques ou indiennes. Et donc, plaf ! on a pas le choix : faut recréer de l’emploi dans les services. Le commerce, par exemple. Ben oui, mais si on a pas les sous pour acheter les produits aux bridés, les commerçants, ils ont rien à vendre. Non ? Moi, je me marre. Je suis dans le dernier commerce où on vend du « Imprimé en France ». De moins en moins faut dire, là aussi, le Chinois fait son trou. Ou le Slovène. Très fort le Slovène, il imprime comme un Allemand et tu le payes comme un Bulgare.

Bon. Pour que le commerçant vende, que le publicitaire torche de la réclame, que le banquier agiote et que l’avocat prépare des compromis, il faut donc aller acheter des produits ailleurs. Et pour ça, faut des sous. Ça pose problème si on veut pas se creuser la dette souveraine. Imagine que le Chinois, il re-évalue son yuan. Tu vas faire la gueule, je te le dis, surtout si, entretemps, Lenovo a racheté HP.

Mais alors qu’est ce qu’on peut faire ? Faut pas être pessimiste, y’a des secteurs qu’on a pas délocalisé parce qu’on pouvait pas. Le bâtiment, par exemple. Je suis d’accord, ça sent son New Deal mais le bâtiment, ça reste jouable. A condition que les banques prêtent le pognon qu’elles ont pas investi en Grèce. Et puis le bâtiment, c’est vachement politique, rien qu’à cause des logements sociaux. Une vraie politique immobilière, ça pourrait être efficace. Je suis bien tranquille, c’est une voie qui sera pas explorée. C’est pour ça que je la dessine.

Y’a d’autres voies, remarque. La distribution, par exemple. Le plouc de base, quand Carrauchan le paye pas assez, il vient à Paris et il vend pas cher ses légumes. Les citadins se précipitent. Génial : y’en a un qui gagne plus et l’autre qui dépense moins. Après quoi, chacun rentre chez lui. C’est con.

Tu peux imaginer que les coopératives qui collectent les produits du plouc de base vont créer des magasins à elles, avec des façades bleu-blanc-rouge. Légumes de chez nous. Locavores à fond. Pas d’intermédiaire. Moins de choix, c’est sûr, mais prix plus bas. Prix obligatoirement plus bas. Pas d’intermédiaires, pas de transport et des marges faibles vu qu’on est dans le coopératif. En fait, on pérennise les opérations coup de poing. Le plouc de base vend plus cher, le citoyen paye moins cher.

Ho là ! ça sent le communisme, ton truc. Non. Ça sent juste le coopératif, la solidarité. Faut pas se leurrer : mon cousin Ricou, éleveur de Blondes d’Aquitaine, il peut vendre aussi bien que Leclerc. A l’inverse, Leclerc, il sait pas élever les Blondes d’Aquitaine. Qui c’est le meilleur ?

Le tertiaire, c’est que des gens qui t’expliquent que tu peux pas te passer d’eux. Ben, c’est pas vrai… Réfléchis un peu, tu verras. Tu verras que l’intermédiaire, il sert à rien. Juste à se gaver en gonflant artificiellement le PIB

On en reparlera…

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