samedi 3 septembre 2011

AU BONHEUR DES LIVRES

Génial, l’article dans Libé sur la librairie Le Bleuet. Bien entendu, le journaliste est un peu cancre qui s’émerveille sur ce qui est, somme toute, normal. Je résume. C’est quoi Le Bleuet ? Une librairie, la septième de France en terme d’assortiment, l’une des plus belles réussites de la profession. Un mec qui a décidé de faire mieux que Gibert Jeune. De faire mieux, tout seul, avec une librairie créée il y a à peine 20 ans. Peut-être que ce qu’il a à dire peut nous intéresser. Non ?

Alors, il nous dit quoi ?

L’emplacement n’a aucun intérêt. Joël Gattefossé s’est installé à Banon, un village de Haute Provence. C’est au nord d’Apt, si vous connaissez la géographie. Mille habitants. Ce qui permet de vendre mille livres par jour. A partir de là, chaque fois qu’un connard vous parlera de zone de chalandise, de clientèle potentielle, de CSP du client, vous aurez le droit de rigoler. Toutes ces questions qui titillent les marchands de café et les spécialistes du marketing n’ont aucun intérêt. Le livre n’est pas une marchandise comme les autres. Tous les pseudo-professionnels bêlent cette phrase à l’envie mais ils passent leur temps à traiter le livre comme n’importe quelle autre marchandise.

Le mec, il a bâti sa croissance sur la croissance de sa surface et sur la croissance de son stock. Plus il a de stock, plus il vend. Il tourne à plus de 100 000 titres, il vise les 300 000. Il le sait bien que les clients du livre, c’est l’abondance qu’ils cherchent. Pas le dernier Onfray, mais TOUT Onfray. Je dis Onfray pour faire moderne. Le libraire de Banon, lui, il parle de Kafka. Ça fait un moment qu’il a pas publié de nouveauté, Kafka. Mais, bon, Le Bleuet, c’est une librairie, pas une maison de la presse. Il se gourre pas dans les références.

Dans les écoles où on apprend le métier de libraire (si, si, ça existe), on vous apprend à gérer le stock. Avec l’arme absolue : les retours. Gattefossé, il se marre : il a 2% de retours par an. Il enfonce le clou : la moyenne des retours, c’était 28% l’an dernier. Là, moi je dis : Respect. Dans mes meilleures années, je suis jamais passé en-dessous de 5% et j’étais fier du chiffre. Le Bleuet me ridiculise. Mais qu’est-ce que je suis heureux d’être ridicule ! Il s’amuse, le libraire : « Si un livre met trois ans à se vendre, je m’en fous… » Bien entendu, il a raison. Ce qu’il dit pas, c’est que ce livre qui mettra trois ans à se vendre, il le reprendra après l’avoir vendu. Parce que, comme tous les vrais libraires, il aura une tendresse particulière pour lui. Et pour le client qui l’aura enfin trouvé….

Cherchez pas. Ses clients, ils viennent de toutes les villes environnantes où ils passent des heures à chercher des livres qu’ils ne trouvent pas. Ça vaut le coup de faire 100 bornes pour trouver un livre. Mais, méééééh, bêlent les modernistes cons, on peut trouver sur Internet. Non. Sur Internet, on trouve des références. Seulement des références. Et l’amoureux des livres, les références, ça lui suffit pas.

Le journaliste, il s’étonne. Il n’y a pas de tables pour présenter les livres. Normal. Joël Gattefossé, il a été menuisier. Il sait que les tables, c’est pour écrire ou pour bouffer. Pour présenter les livres, on a inventé un truc qui s’appelle la bibliothèque et qui fonctionne à la satisfaction générale depuis quatre ou cinq siècles.

Y’a pas non plus de post-it et de pseudo notes de lecture. Quand t’as 100 000 titres, ce serait ridicule. Et les clients qui viennent te voir, ce que tu penses des livres, ils en ont strictement rien à foutre. Ils veulent juste que tu aies en magasin le titre qu’ils cherchent, qui est peut être une merde à tes yeux mais qui est inappréciable pour eux. Et après tout, c’est eux les clients…

Le journaliste cherche des chiffres choc. Le Bleuet a un panier moyen de 35 euro, le double de la moyenne nationale. Normal. Un libraire qui a du choix fait des ventes. La moyenne nationale n’a aucun sens. Dedans, y’a tous les gogos, les bobos qui achètent UN livre, en général le dernier Goncourt, pour l’offrir à leur meilleur copain.

Tout ça, je l’avais écrit dans un superbe manuscrit refusé par une bonne dizaine d’éditeurs. J’ai essayé d’en convaincre un paquet de jeunes libraires qui, tous, m’ont pris pour un vieux con. Ils disaient que je leur causais des librairies de papy et qu’au jour d’aujourd’hui, c’est plus comme ça qu’on vend des livres.

Je suis vachement heureux parce qu’on est au moins deux à avoir la même vision de notre métier. C’est vachement important de pas être tout seul. Je sais bien ce que vont me dire tous les mononeuronaux. Que c’est une exception (on est deux, donc ça fait au moins deux exceptions). Que le marché, c’est plus Amazon que Gattefossé (au nom de quoi ?). Que l’avenir du livre, c’est plus les tablettes que La Pléïade (encore une connerie, les tablettes, c’est l’environnement du texte, pas du livre). Bref, toutes les sottises qui accompagnent comme un cortège la doxa, surtout quand les faits démentent la doxa.

Surtout quand la doxa s’accompagne du mensonge et de la dissimulation. A propos de mon manuscrit, un éditeur (et non des moindres) a eu cette phrase délicieuse : « Toutes les vérités ne sont pas bonnes à publier ». Et tous les livres ne sont pas bons à vendre.

On en reparlera…

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