jeudi 9 juin 2011

MYTHOLOGIES

On va me dire que je suis obsessionnel. C’est juste que, tous les jours, j’entends des conneries. J’entends en boucle les poncifs dégueulés par la doxa, ce que Barthes appelait les mythologies de notre époque. Soixante ans après, ce sont les mêmes, vêtus des oripeaux de la modernité. Je veux dire par là que leur expression est beaucoup plus pauvre, beaucoup moins « littéraire ». Le sport est toujours aussi con mais personne n’a remplacé Antoine Blondin à la rédaction de l’Equipe. Et le bifteck saignant a été remplacé par le soja bio.

C’est pareil. Toujours pareil. La vérité, c’est ce que tout le monde croit. Et ce que tout le monde croit, c’est ce nous rabâchent à longueur de pages les médias qui nous prennent pour des affligés du neurone. C’est le coup de Galilée. Le média, alors, c’était l’Eglise : des milliers de curés qui chantaient la même complainte du haut de leurs chaires dans des milliers d’églises où se pressaient des millions d’affligés du neurone. Et les millions d’affligés pensaient que le Soleil tourne autour de la Terre puisque c’est ce qu’ils voyaient tous les matins et que le curé leur assénait que c’était comme ça et que c’était ce qu’il fallait croire. Le Moyen-Age est toujours là. Les patrons de presse ont simplement remplacé les cardinaux.

Peut-être qu’on est vraiment affligés du neurone. On passe pas mal de temps à se moquer des poncifs avalés par nos parents et on refuse de considérer les clichés qu’on idolâtre. On se dit « Qu’est-ce qu’ils étaient cons ! » et on refuse de considérer notre propre stupidité. Je viens d’en lire une bien belle dans Libération. C’est un psy, le docteur Bokobza, qui déclare avec une belle assurance : « Le malade mental est un malade comme un autre ». Ben non. Et la différence est de taille. Le malade ordinaire, il se bat avec plus ou moins de réussite pour ne pas mourir. Pas le malade mental. Le malade mental, dans plein de cas, il veut mourir. On admettra que la différence mérite d’être regardée. Et dans d’autres cas (moins de 1%), il va projeter sa maladie sur l’autre et il va le tuer. Moins de 1%, c’est pas beaucoup. Sauf que c’est énorme pour la famille des poignardés de Pau ou de Grenoble.

J’ai vécu avec les deux. Ma voisine du second et son cancer et mon voisin du cinquième et sa schizophrénie. Ma voisine du second, elle cachait ses cheveux sous un foulard, mon voisin du cinquième il cachait ses couteaux dans le local à vélos. Ma voisine du second, elle prenait ses médocs avec constance et sérieux. La mère de mon voisin du cinquième, elle doit se battre pour qu’il les accepte. Faut pas me dire que c’est pareil. Dans un cas, t’as la trouille. Vraiment.

Simplement, on est dans la doxa. On baigne dans Foucault. On s’ébroue dans Balint, on se frotte de Laing. Vous pouvez le dire : « Le malade mental est un malade comme un autre », vous êtes sûrs de recueillir l’approbation de la foule. Un petit conseil toutefois : évitez de le dire aux maris des infirmières égorgées à Pau, vous pourriez ramasser une belle mandale.

Mais, mééééh, me bêle mon psy préféré, toi aussi, tu plonges dans le stéréotype, dans le désir d’enfermement, dans la singularisation du malade mental. Peut-être. Peut-être que je me laisse conduire par ma trouille. Sûrement que ma rationalité prend sa source dans ma peur. Parce que la dangerosité du malade mental n’est pas un mythe, même si elle s’exerce à son encontre. La société doit protection à ses membres, y compris contre eux-mêmes.

Sauf qu’aujourd’hui, la doxa c’est la survalorisation de l’individu et la négation du groupe. Le groupe social, bien entendu. Ça marche dans tous les sens. Prenez ce pauvre Eric Woerth. Il est menacé des pires maux au motif qu’il a confondu son rôle politique et son job de trésorier du parti dominant. Il en a tiré certainement quelque bénéfice personnel. Des miettes. L’essentiel de son rôle a été de drainer des sommes colossales vers son parti. Or, le parti est bien oublié. Si on cherche à qui le crime profite (c’est une figure de style, on est dans le délit, pas dans le crime), il a profité à un groupe qui s’appelle l’UMP et que personne ne songe à inquiéter. On l’avait déjà vu avec l’affaire Destrade. On cloue un homme au pilori pour mieux cacher le groupe dans les drapés de la procédure.

Des fois, ça dérape. Un homme plus un homme, ça fait déjà un groupe. Un petit groupe de deux qui permet de quitter les chemins de l’individualité. DSK plus Tron. On dira que c’est le groupe des hommes politiques. Ou des hommes de pouvoir. Nulle part, je n’ai entendu parler de « classe ». On aurait pu dire « la classe dirigeante ». Stop ! « Classe », c’est pas un bon mot. On pourrait croire à un pouvoir économique alors que la doxa réserve les ignominies à la classe politique. Ça, ça marche bien. Ça va avec le « tous pourris » du Breton malvoyant lequel aime bien la société capitaliste.

Parce que « classe politique », on l’entend souvent. C’est un dérapage amusant qui a permis de complètement achever la dévalorisation de la pensée marxiste. Avec « classe politique », la « lutte des classes » prend un sens nouveau. Il ne s’agit plus de bousculer la société mais de jouer sur sa direction. Et donc, dans tout ce que j’entends, la bite à la main va avec l’écharpe tricolore. Les dirigeants économiques restent chastes et purs.

Ainsi va l’idéologie. Toujours, l’économique a trouvé l’action du politique insupportable. Ne fut-ce que parce que la première action du politique est la fiscalité, c’est à dire la redistribution, affreux vocable apparenté à un détroussage (détroussage qui n’est pas un troussage, mes lecteurs font la différence). Et, par voie de conséquence, tout ce qui s’apparente à un affaiblissement du politique est bon à prendre. Les médias s’en donnent à cœur joie dans ce registre. Le monde économique est toujours présenté comme un monde désincarné, mécanique. La Bourse baisse ou monte sans qu’on mette en avant l’action des hommes, spéculateurs et immoraux. Sauter une soubrette, c’est mal. Fermer un site industriel et foutre 2000 familles au chômage, c’est à dire à la rue, c’est inévitable. Le bonhomme qui prend la décision, c’est toujours à son corps défendant : la situation, le marché, la concurrence…. Dans le pire des cas, il expose ses regrets. Mais jamais devant un prétoire. Le prétoire, c’est pour les bourses, pas pour la Bourse.

On en reparlera…

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