mercredi 23 mars 2011

TUL'AIMES OU TU LA QUITTES

J’adore cette phrase. Je l’adore parce qu’elle est d’une connerie rare. Je l’adore parce qu’elle porte en elle son miroir.

Le miroir, c’est : « Si tu la quittes, c’est que tu l’aimes pas ». Imparable. Tu l’aimes ou tu la quittes, ça veut dire que le choix est simple : aimer ou partir. Aimer, c’est rester. Partir, c’est ne pas aimer. Restons logique.

Alors, tu la quittes. Tu vas t’installer en Suisse. C’est juste un exemple. T’aimes pas la France, tu vas en Suisse. C’est normal. T’aurais pu aller ailleurs, mais t’as choisi la Suisse parce que la France, c’est caca. Me dis pas que c’est pas vrai, sans ça tu serais resté, non ?

Après, le pays que t’aimes pas (puisque tu l’as quitté) tu te dis que, quand même, y’a pas de raisons de pas en profiter un peu. Alors, tu gardes ta Sécu ou tu vas commander une équipe nationale d’un pays que t’aimes pas. Et là, miracle de la pensée, personne ne dit rien. Les gros cons sont persuadés que tu peux l’aimer ET la quitter. Mohammed, c’est OU. Guy Forget, Johnny Halliday, Houellebecque et bien d’autres, c’est ET. C’est miraculeux les contorsions grammaticales quand c’est lié à la taille du compte en banque.

Regardons en arrière. 1790. Les nobles n’aiment pas beaucoup la France qui se dessine. Alors, ils s’en vont. Ils la quittent. Logique : tu l’aimes ou tu la quittes. Et que fait la Constituante ? Elle en tire les leçons. Elle nationalise les biens des émigrés et les vend aux enchères. T’es là ou t’es ailleurs. Tu fais un choix. Tu en assumes les conséquences, quelles qu’elles soient.

Ouah, l’autre ! C’est pas pareil. C’est pas pareil parce qu’on le veut bien. Parce qu’on a décidé que la fiscalité était déconnectée de la nationalité ce qui, on en conviendra, est une sublime connerie. Le premier devoir d’un individu, c’est de participer aux dépenses du groupe. C’est valable pour l’Etat comme pour la famille. D’ailleurs, quand tu largues ta famille, le premier truc auquel on te condamne, c’est de payer une pension alimentaire.

Le premier reproche que font les conchieurs de l’immigration aux immigrés, c’est de coûter à la Nation. Les débats se focalisent autour de cette notion, les immigrophiles prétendant que les immigrés travaillent, consomment, payent des impôts. On fait des comptes d’apothicaire qu’on se renvoie à la figure et qu’on peut toujours torturer dans tous les sens. Pour ma part, je suis un Français de pure et vieille souche. Toutes mes branches remontent à au moins deux siècles de bons franchouillards bien enracinés dans les terroirs qui composent la Nation. On peut pas en dire autant de mes enfants que j’ai faits à des mères issues de l’immigration. Peu importe. Les pères de mes femmes, les grands-pères de mes gosses, quand ils sont arrivés en France, ils ont trouvé des routes, des ponts, des écoles, des hôpitaux construits avec les impôts payés par mes grands-pères à moi. Ils en ont profité. Moyennant quoi, ils ont fait des filles superbes. Qui est gagnant, qui est perdant ? On va pas faire des comptes sur deux siècles, non ? On s’en sortira pas. Si on fait ça, je vais dire à Jamel que la participation de son grand-père à Monte Cassino, c’est que dalle face à la participation des miens à Verdun, Sedan, Wagram ou Bayonne (voir indifféremment le siège de Bayonne en 1814 ou la prise de Bayonne par Dunois). Si tu déplaces le curseur, l’immigré, il est obligatoirement perdant, il lui manque de l’Histoire. Forcément.

La fiscalité reste au cœur de la construction et du développement de la Nation. Si t’as pas de pognon, tu n’investis rien. C’est pas neuf. C’était l’idée d’un bon Basque bien réaliste, Esteban de Zuloeta. Nom imprononçable, francisé à la Cour du Roi en Etienne de Silhouette. Je l’aime bien car « silhouette » est, à ma connaissance, le seul nom commun du français classique d’étymologie basque. Silhouette avait dit à Louis XV « Dans un Etat bien gouverné, Sire, le fort supporte le faible ». Du coup, Louis XV l’avait nommé Contrôleur général des Finances. Mettant ses idées en application, Silhouette (ou Zuloeta, mais ça fait un peu immigré comme nom) commence à taxer les riches et finit, logiquement, par proposer un impôt sur le revenu. Du coup, il se fait virer. On avait déjà le droit de prononcer de belles phrases mais pas de les inscrire dans la réalité. Même Voltaire (une sorte de BHL de l’époque) trouvait qu’il exagérait. L’égalité, oui, mais pas au prix de la taxation des châteaux ou des droits d’auteur.

Parenthèse : tu peux être Académicien français, payé par l'Etat, honoré par la Nation, flambeau de la langue et de la culture françaises et payer tes impôts en Irlande. On a des exemples. C'est pas très cohérent, je trouve.

Les déplacements de population, c’est un vrai problème. Nous aussi, on a des émigrés. On les appelle des « expatriés », c’est pas connoté pareil. Y’en a partout dans le monde. Le plus souvent, ils payent leurs impôts là où ils bossent. En clair, ils ne participent pas directement au budget de la Nation. Je mets « directement » parce qu’on va m’expliquer qu’ils exportent (ce qui n’est pas toujours vrai, y’en a qui sont installés ailleurs pour importer en France) et que, l’un dans l’autre…. Je demande à voir. Quand mon copain, Patrick, cuisinier, bosse dans un restau français chic à Los Angeles, sa contribution à mon bien-être reste un peu floue. En termes financiers, je veux dire. Mais dans ce cas, personne ne fait des comptes. C’est des cadres, donc ils rapportent, affirme la vox populi.

Je me posais la question en apprenant que la France rapatriait gratuitement ses expatriés du Japon. C’est bien, c’est généreux, versons une larme et faisons les comptes. Je vais payer pour rapatrier des mecs qui, eux, sont partis pour ne pas payer. Parce que le coût du rapatriement, il va directement impacter mes impôts de résident français. Comme il va impacter les impôts de ce brave Abdel, marocain, menuisier et résident fiscal en France. Tu l’aimes ou tu la quittes. Les expatriés, ils vont hurler que je déconne et que, eux, ils la quittent mais ils l’aiment quand même. Ils l’aiment mais pas au point de payer pour elle. Ils vont te dire qu’ils n’en profitent pas puisqu’ils n’y sont pas. Ils n’en profitent pas sauf quand on les rapatrie gratos. Mais c’est des cadres, donc c’est pas pareil…. On va pas irradier des cadres, quand même…

On est dans ce que je déteste le plus : la géométrie variable. Un coup, c’est blanc, un coup c’est noir, en fonction de paramètres impossibles à identifier. Alors, je cherche. Le seul paramètre que j’arrive à distinguer, c’est la position sociale. C’est ça qui est à l’œuvre. Si tu tues un flic et que t’es frais nationalisé, tu perds ta nationalité. Or, c’est pas les anciens d’HEC qui tuent les flics. La loi, elle a l’air bien juste alors qu’elle est socialement orientée.

Fondamentalement, tu l’aimes ou tu la quittes, ça me gêne pas. Ce qui me gêne, c’est les sous-entendus. J’aimerais bien une application stricte du principe, quelque chose qui ressemblerait à 1790. Qu’on prenne en compte les émigrés d’aujourd’hui, ceux qui partent, ceux qui la quittent. T’es domicilié fiscalement en Suisse ou en Belgique, c’est ton droit. Mais tu n’as plus le droit de siéger dans un conseil d’administration. Mais, les étrangers ont le droit. Les étrangers, oui. Les Français délocalisés, non. Les Français délocalisés, c’est des sortes d’apatrides, des mi-chèvre mi-chou, des pas bien définis.

Pour ma part, je verrais bien remplacer la vieille querelle droit du sang/droit du sol par le droit du fric. D’abord, ce serait cohérent avec l’idéologie actuelle. Au pays du fric-roi, il est anormal que le fric ne serve pas de marqueur politique vrai. On peut imaginer : ne votent que ceux qui payent en France l’impôt sur le revenu. Horreur ! c’est le suffrage censitaire. Non, et d’abord ça existe au niveau de l’éligibilité. Pour être conseiller municipal, faut payer des impôts dans la ville. Logique : tu votes des impôts, donc il te faut être concerné.

Alors, imaginons. T’es domicilié fiscalement en Suisse, tu perds ton droit de vote. Le choix d’une politique, c’est d’abord le choix de la fiscalité parce que, faut pas déconner, le truc le plus important que vote le Parlement, c’est le budget. Alors, Johnny, fiscalement suisse, il vote plus et Abdel, fiscalement français, on lui file le droit de vote. Abdel, il donne des sous au gouvernement (pas beaucoup, mais c’est pas de sa faute), c’est normal qu’il en contrôle l’utilisation.

J’admets. Ça manque de panache, ça fait boutiquier terre-à-terre. C’est confondre l’amour sacré de la Patrie et la trivialité du portefeuille. Voire ! Aimer, c’est payer, tous les psys vous le diront…

On en reparlera…

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