dimanche 20 mars 2011

A LA VILLE COMME A LA VILLE

Préliminaire : ce texte est complètement géopolitique : les rapports entre Etats sont calqués sur les rapports entre personnes.

On a deux mots qui dérivent tous deux du latin « urbs ». Urbs, c’est la ville. Ça a donné « urbanisme » et « urbanité ». Urbanisme, c’est comment on construit la ville. Urbanité, c’est comment on y vit.

Urbanité, c’est un synonyme assez chic de « politesse ». Un mec urbain, c’est pas un mec qui vit en ville, c’est un mec bien élevé. Un qui s’efface devant les dames et leur tend leur manteau. Un qui s’excuse quand il te bouscule. Un qui se présente quand il te parle.

Au départ, urbanité, c’est un mode de comportement en ville. Il en faut un, forcément. La ville, c’est pas la campagne, rien n’est pareil. Et donc, les codes changent pour que les relations humaines soient facilitées. Le bruit, par exemple. A la campagne, le bruit, c’est pas un problème. Tu vis dans une ferme isolée, si tu mets la techno à fond, ça dérange que les mulots. Tu t’en fous, des mulots. Dans le village, c’est différent mais les murs sont épais, alors on peut faire du bruit. Parler plus fort, s’engueuler.

A la campagne, tu parles haut. Souvent t’interpelles un mec qui est loin. Faut crier si tu veux qu’il t’entende. A la campagne, on se hèle. En ville, on peut pas. Ne serait-ce que parce qu’on est nombreux. Cent mecs qui se hèlent, ça devient un vacarme.

A la campagne, quand tu vas voir ton voisin, tu gares ta bagnole dans la cour, devant la porte de la cuisine. Y’a de la place. C’est pratique pour les livreurs de chez Darty. En ville, si tu vas voir un pote, t’es content quand t’as trouvé un parking à moins de 100 mètres. Ou une place autorisée. Et même, y’a des fois où y’en a pas.

C’est juste des exemples. On pourrait en trouver d’autres. Mais ceux-là suffisent. Le problème majeur des villes, c’est qu’elles sont envahies, année après année, par les campagnards qui viennent y survivre. Je le sais, j’en fais partie. Cette émigration, la seule qui vaille qu’on s’y intéresse, s’est largement accélérée depuis trente ans. Accélération qui fait que les non-urbains ne s’intègrent plus et n’apprennent plus les bases de l’urbanité.

Les conchieurs de l’émigration se plantent grave. Le problème, c’est pas le pays d’où vient l’émigré. Ce qu’on reproche aux émigrés, c’est d’importer la campagne à la ville. A la campagne, on vit dehors, les gosses poussent sous le regard du village, on se retrouve sur la place de la Mairie le soir. C’est vrai pour le Mali comme pour le bas-Berry. Seulement voilà : le hall d’un immeuble, c’est pas la Place de la Mairie. En ville, les gosses restent à la maison et les rues ne peuvent pas se changer en terrain de foot.

A la campagne, on peut se garer en double file. Il passe deux voitures par jour, on gêne personne. Et si on gêne, le mec il reconnaît ta voiture, il descend te causer et dans le meilleur des cas, ça fait deux voitures en double file et deux chauffeurs au bistro. En ville, ça marche pas comme ça. C’est pas deux voitures par jour, c’est deux voitures à la minute. Le syndrome du plouc, c’est le mec qui se gare n’importe où, de préférence sur les clous ou en double file pour faire comme à la campagne, être au plus près du but. Lui, t’es sûr que c’est un rural, quelle que soit sa plaque d’immatriculation. Quel que soit son statut social aussi.

L’émigré, ce qu’il importe à la ville, c’est d’abord ses habitudes de campagnard. Après tu peux dire indifféremment « campagne » ou « bled », c’est sans importance. Les gosses qui jouent au foot sur les trottoirs en emmerdant les piétons, en se ruant sur la chaussée et en hurlant, ils sont de toutes les couleurs. Les béleurs socio-compatibles vont me dire qu’ils peuvent pas jouer ailleurs, qu’y a pas assez de squares, pas assez de terrains de sport. Ben non. Y’en a jamais eu. La ville n’est pas adaptée aux jeux des gosses. Le petit urbain, il reste à la maison, avec ses joues pâles et il adore faire les courses parce que ça le sort du confinement de sa chambre. Relisez Les Beaux Draps. Le petit campagnard et le petit urbain, ils vivent pas pareil. C’est juste une question d’espace, d’organisation du territoire, d’utilisation du territoire. J’admets que c’est chiant pour le petit urbain. Les gosses, ça déborde d’énergie. C’est chiant, mais c’est comme ça parce que la ville c’est pas la campagne et que tu peux pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Alphonse Allais a eu une phrase inoubliable sur le sujet.

Les parents n’y voient pas malice. Eux, à la campagne, ils vivaient dans la rue, ils jouaient dans la rue. Ils trouvent normal que leurs gosses fassent comme eux. Ils n’ont absolument pas conscience qu’en déménageant à la ville, ils doivent renoncer à leurs habitudes campagnardes. Ils n’ont même pas conscience que leurs habitudes sont campagnardes. S’ils viennent d’ailleurs, ils vont te dire qu’enfermer les gosses, c’est des habitudes de Français. Ou de Parigots, s’ils viennent de moins loin. Ils n’ont pas conscience que la différence socio-culturelle prend ses racines dans la taille du territoire. Pas la peine de leur expliquer : en arrivant à la ville, ils pensent s’être lavés de leur ruralité, juste en changeant d’adresse. Ils oublient que le hareng sent toujours la caque et que le ton qui monte et la voix qui porte, c’est un privilège rural.

Toi, si tu veux élever un môme de manière urbaine, t’as du mal. Ne cours pas dans l’appartement, pense aux voisins. Ton môme, les voisins, il s’en tape. Pour peu que les voisins soient des ruraux et laissent leur môme courir, t’as l’air d’un vieux birbe. Le conflit des générations démarre. Comme t’es bien élevé, tu mets des tapis ou de la moquette. Mais ça marche pas pour tout.

Le voisin, l’Autre, c’est la base de l’urbanité. Parce que c’est pas le même voisin qu’à la campagne, tu vis sur lui, pas à côté. L’urbanité rejoint l’urbanisme. L’étage, ça oblige à d’autres modes de vie. Encore faut-il les connaître ou avoir envie de les connaître.

Cherchez pas. Les sociologues de bistro passent leur temps à dire que l’émigration asiatique ne pose pas de problèmes. Normal. L’émigré asiatique, dans la majorité des cas, il vient de la ville. Il sait se fondre dans le paysage. Il fonctionne à Paris comme à Canton ou Hanoï. Le Chinois, quand tu lui demandes d’où il vient, tu peux aller vérifier. C’est pratiquement toujours une ville que tu connais pas mais qui se balade au-dessus du million d’habitants. Lui, vivre en ville, il sait. Il est urbain. Et donc, il ne pose pas de problèmes en ville. Ailleurs non plus, vu qu’il n’y va pas.

Pas la peine de s’énerver. La transfusion est en cours. On voit se créer une civilisation urbaine néo-rurale. On vit de plus en plus à la ville comme à la campagne. C’est pas Reggiani et les loups sont entrés dans Paris. C’est pas une invasion, c’est une diffusion. Parce que les modes de vie campagnards, ils conviennent finalement. Personne n’aime se garer loin. Personne n’aime devoir baisser le son de sa télé. Personne n’aime les contraintes. Pas la peine de gueuler quand un mec se gare en double file. Tu fais pareil quand ça t’arrange. Et tu hurles comme un perdu quand un joueur de ton équipe favorite colle le ballon dans les filets de l’autre. Les voisins, ils ont qu’à comprendre. On est pas des bêtes.

Ben si, justement. Quant tu refuses la contrainte, quand tu refuses la vie sociale et ses obligations, tu te comportes comme une bête. La bête, c’est le non-contrôle. On en a déjà parlé (http://rchabaud.blogspot.com/2010/11/emile-et-adolf.html ). Après, c’est juste une question de dosage et de fonctionnement. En gros, savoir si tu peux payer le PV ou pas. Ou alors, faire comme ma voisine qui s’étonne parce que j’appelle les flics à minuit quand elle fête son anniversaire en m’empêchant de dormir. Elle avait collé une petite affiche dans le hall de l’immeuble pour nous prévenir. Ben, c’est pas parce que tu préviens un mec que tu vas lui coller un couteau dans le ventre que ça te donne le droit de le faire. La règle, c’est 22 heures. C’est pas l’heure que je veux le jour où je veux.

Je sais. Je suis psychorigide. Terme inventé pour caractériser ceux qui valorisent le groupe contre l’individu. Quand je dis « groupe », je veux dire groupe social. Parce que valoriser le groupe du CAC40 contre l’individu, ça c’est permis. Voir France-Telecom.

On en reparlera…

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