mercredi 2 février 2011

PERPLEXITE

Je suis perplexe. Que Ben Ali soit parti et que Moubarak vacille me fait plutôt plaisir. Ce qui m’inquiète, c’est le chœur des commentaires. Ça m’inquiète parce que j’ai déjà connu ça.

En Iran, par exemple. Quand Khomeiny a remplacé le Shah, on a entendu les mêmes discours : le départ de l’autocrate, la liberté retrouvée, le peuple dans les rues fêtant le départ du dictateur qui pillait le pays. Trente ans après, on voit le résultat.

Idem pour l’ex-URSS. Avec la chute du Mur, on allait voir ce qu’on allait voir. On a vu. Poutine n’est pas un parangon de dirigeant démocratique. Sans parler des « satellites ». Kazakhstan, Tadjikistan et même Ukraine. Ces peuples ne me semblent pas totalement libérés.

La règle, la triste, la sinistre règle, c’est que les révolutions sont toujours confisquées. Napoléon succède à Mirabeau. Tout simplement parce que le peuple, il peut pas se révolter éternellement. Il faut bouffer, survivre au quotidien. Au bout d’un moment, il baisse la garde et une nouvelle oligarchie s’installe. Avec des promesses et des caresses dans le sens du poil. Ça dure ce que ça dure….

C’est bien ce qui se passe en Tunisie et en Egypte. C’est bien mais ça va pas durer. Dans les deux cas, les dangers sont réels. Ne serait-ce que parce que ce sont des pays à forte composante rurale. Le paysan est conservateur et irrationnel. Il aime l’intangible et le curé (ou l’imam). Nous, on voit les capitales parce que c’est dans les capitales que se font les révolutions et que sont installés les correspondants des télés qui nous informent. On voit pas les villages où les forces réactionnaires oeuvrent à bas bruit.

C’est dans les villages que se forge le boomerang de la contre-révolution. Le paradoxe, c’est que j’aime bien le monde rural… Je sais bien que c’est mon histoire personnelle, mon vieil oncle bouffeur de curés et républicain viscéral. L’oncle Adrien, il avait le conservatisme progressiste. Encore un paradoxe. Il vivait conservateur et il pensait progressiste. Pour lui, le progrès, c’était juste un moyen de mieux partager ce qu’on avait. Pas d’avoir plus ou différent. D’avoir mieux. Il avait transcendé la vieille opposition être ou avoir en y insérant la notion de partage. Pas le partage du curé, le partage de la charité où tu donnes ce qui ne te sert plus. Mon oncle Adrien, il préférait le partage du gouvernement, le partage un peu obligatoire, un peu forcé. Maire d’une commune paysanne, il savait bien qu’on ne partage pas spontanément, il y faut un peu de contrainte. Pour le fric comme pour les idées.

Ce qui me gène, c’est qu’on a une vision « capitalienne » des faits. Je forge ce barbarisme sur la notion de « capitale ». Nos informations ne viennent que des capitales. C’est là que sont installés les bureaux où travaillent les journalistes. Pressés de fournir quotidiennement la provende des informations, ils vont les recueillir là où ils sont. On ne sait jamais rien de ce qui se passe dans les campagnes. Hier, au Caire et sur France 2, c’était caricatural. L’information venait de Omar Sharif, confortablement installé dans un hôtel de luxe de la Corniche du Nil. Journalistiquement original. En plus l’acteur est parfaitement francophone, ça passe mieux qu’une mauvaise traduction. Moi, je me demandais ce qui se passait hier dans le Fayoum. Nous ne le saurons jamais. Ou alors, bien plus tard, quand les historiens se mettront au travail. Et que la pièce sera jouée.

Il est vrai que les révolutions sont essentiellement urbaines n’en déplaise à tous les historiens qui ont travaillé sur les jacqueries. Ce fut à la mode dans les années 60 après la prise du pouvoir par Mao qui avait assis sa révolution sur le monde paysan. On pensait alors que le paysan pouvait être le moteur des changements sociaux. Ce n’est vrai que lorsque le paysan peut conquérir les villes, c’est à dire les centres politiques et économiques. Il y faut une complète déliquescence du pouvoir. Il y faut surtout une totale absence de clergé séculier ce qui était le cas en Chine. La Révolution française n’a pu se maintenir qu’en luttant férocement contre le clergé séculier. Il fallait bien que Carrier s’occupe des curés vendéens et des prêtres bretons.

On le voit bien en Tunisie et en Egypte : la crainte majeure est la reprise en mains par les islamistes quels qu’ils soient. Crainte d’autant plus justifiée que les gouvernements de Ben Ali et Moubarak en luttant contre les partis islamistes leur ont donné une légitimité d’opposants. L’avenir de ces deux pays va se jouer dans les campagnes et dans les quartiers populaires des grandes villes où s’entassent les immigrés de l’intérieur, les paysans déracinés qui continuent de vivre à la ville selon un schéma villageois. Il faudra bien comprendre un jour que ce schéma est source de violence.

On en reparlera…

PS : Ce matin 5 février, interview de Malek Chebel à propos de l'Egypte. Que dit-il ? Que nous regardons 2 millions de manifestants et que nous oublions le reste, que les Frères musulmans sont très actifs dans les réseaux caritatifs et représentent une vraie force sociale vers laquelle le peuple peut se tourner. D'autant que les 2 millions de manifestants bloquent l'économie égyptienne et qu'il va bien falloir que les plus pauvres s'adressent à ceux qui font la charité. On n'a pas fini d'en reparler...

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