jeudi 10 février 2011

INDIGNEZ-VOUS

Bon, je vais faire encore un truc pas correct. Je vais toucher à une icône admirée, encensée. Un mec qui a vendu un million d’exemplaires. Même à moi, alors qu’un machin de 24 pages c’est pas trop ma tasse de thé. En plus, il est vieux, sympathique, il présente bien, il a une œuvre et une carrière. Je vais droit au casse-pipes.

Je vais d’autant plus au casse-pipes que je me sens plein d’affinités avec Stéphane Hessel mais je trouve qu’il se fout un peu de ma gueule. Attendre son âge pour s’indigner, après une carrière bardée d’honneurs, c’est un peu facile.

J’ai déjà dit ici ce que je pensais de l’action de la Commission des Droits de l’Homme dont il fut secrétaire (http://rchabaud.blogspot.com/2010/12/quels-droits-de-lhomme.html). Il ne faut pas trop faire confiance aux diplomates. Ils ont la culture du compromis et beaucoup passent sans états d’âme du compromis à la compromission. Dès lors qu’on veut faire coller les droits de l’Homme et les droits d’un gouvernement, le grand écart est inévitable. Je crois aussi que l’humanisme a peu à voir avec les Droits de l’Homme qui sont une arme de guerre. L’humaniste, surtout normalien, accepte volontiers les dérives religieuses car il aime la métaphysique. Alors, il admet l’expression de la religion et s’étonne plus tard d’être confronté au problème de la burqa. L’humaniste est angélique.

Stéphane Hessel fut ambassadeur à l’ONU. Le « machin », comme disait le général De Gaulle, est un lieu parfait, une parfaite icône de la politique actuelle. On affirme y maintenir la paix alors qu’on y gère des conflits. L’ONU passe son temps à rechercher des équilibres qui l’obligent à accepter toutes les dérives. On peut s’indigner devant les « états-voyous », mais à l’ONU, on les invite à sa table. On entend dire que l’ONU a maintenu la paix. Pour nous, oui. Qu’en pensent les Rwandais, les Tchétchènes, les Cambodgiens, les Ivoiriens, les Zaïrois ? Indignez vous, nous dit Stéphane Hessel. S’est-il indigné à l’ONU ? Je veux dire s’est-il vraiment indigné ? A t’il quitté des réunions ? A t’il menacé ? L’indignation n’est pas la violence. On peut toujours s’indigner devant le voyou qui nous agresse. Mais ça ne vaut pas une bonne mandale.

L’action politique se juge à l’aune des résultats. Stéphane Hessel a été chargé du dossier des radios libres. Vingt ans après, il ne reste rien de l’extraordinaire explosion de créativité de ces années. Ceux qui ont réussi sont en Bourse et participent du grand cirque de la musique appauvrie. Les autres ont disparu. Pauvre résultat.

L’action politique se juge à l’aune des résultats. Stéphane Hessel a participé à la création du Haut Conseil à l’intégration. Vingt ans après, qu’en est-il de l’intégration ? L’expression infinie des communautarismes sape, jour après jour, la construction d’une société homogène qui devrait être le but de cet autre « machin ». Parce que, intégrer, ça veut dire « permettre à ceux qui sont pas comme nous de nous rejoindre ». L’utilité du Haut Conseil est démontrée par ses résultats. On pourrait le dissoudre sans rien perdre.

Selon Wikipedia (mais je doute), Stéphane Hessel a attendu 2006 pour prendre position dans le conflit israélo-palestinien. Si c’est exact, c’est bien tardif. Bien tardif, mais bien normal. Les diplomates se sont fort peu exprimés sur ce sujet et seul De Gaulle a osé une phrase qu’on lui reproche encore sur « ce petit peuple sûr de lui et dominateur ». Pour ma part, je ne crois pas aux conversions tardives. Le chemin de Damas m’a toujours fait rire. Mais les citoyens adorent ça : le Père de Foucauld fréquentant les bordels à vingt ans et devenant ensuite un saint. Dans le cas qui nous occupe, je pense que, pendant cinquante ans, Hessel a oublié de s’indigner devant une situation qui n’a guère changé.

L’indignation est insuffisante sans la révolte, la démission, le coup d’éclat. Stéphane Hessel en fut capable dans les années 1940. Mais après ? Qu’on ne vienne pas dire qu’on était plus utile dans le poste qu’on occupait (c’est la défense de Papon, ne mélangeons pas) ou que les situations évoluent mieux dans le silence feutré des cabinets, tous ces arguments qui justifient l’immobilisme et les lentes évolutions à bas bruit. Je suis bien certain qu’à l’ONU, Stéphane Hessel a parlé avec des diplomates représentant des gouvernements indignes. J’aurais préféré qu’il nous le dise. Qu’il nourrisse notre indignation de faits. A son âge, il n’y a plus de devoir de réserve (encore une notion à la con, soit dit en passant, quand l’Etat fait fausse route ou manque à la morale, il faut le dénoncer).

Il a raison. L’héritage du Conseil National de la Résistance a été bradé. Par la gauche comme par la droite. La gauche qui a privatisé autant que la droite. La gauche qui, au nom du marché, a avalé tant de couleuvres. Jusqu’à Jospin qui a déclaré en 2002 « mon programme n’est pas socialiste » et s’est étonné ensuite de perdre les élections. Pendant cinquante ans, Stéphane Hessel a servi des gouvernements qui bradaient ce en quoi il croyait à trente ans. Il a servi des gouvernements. A t’il servi la France ?

A ses yeux, je pense que oui. C’est la position assez générale des hauts fonctionnaires qui, pour servir leur pays, servent son gouvernement. Ils refusent de voir, et même d’envisager, qu’il puisse y avoir des gouvernements félons. Je sais, le mot est fort.

En 1974, après le premier tour et la défaite de Chaban, j’avais eu Pierre Billotte au téléphone. Sa position était claire : « Il faut voter Mitterrand, avec Giscard, c’est Vichy qui revient ». Je l’avais trouvé un peu excessif mais j’avais mis l’expression sur le compte de son histoire personnelle. Et j’aimais bien les excès de Billotte. J’ai compris plus tard, notamment quand j’ai vu l’influence de Jean-Jacques Servan-Schreiber, héraut de l’Amérique libérale et chantre d’un modernisme purement technologique, ce qui ne l’empêcha pas de saboter le Concorde. JJSS était fasciné par l’Amérique et détestait De Gaulle qui la tenait à l’écart. L’abandon commence par la fascination de l’autre. C’est aussi vrai pour l’amour.

Soyons juste : auprès de Giscard, il y eut un Ministre des Affaires Etrangères qui me plaisait bien : Louis de Guiringaud. Accueilli en Tanzanie par des manifestations hostiles, il annule son voyage. Tu me parles pas comme ça. Je ne sais pas si c’était efficace, mais ça avait de la gueule.

Les abandons des principes du CNR, ils sont en cours depuis les années 1970 sans que personne ne s’en offusque. Le statut de la presse, par exemple. Le CNR avait tout mis en oeuvre pour que subsiste une pluralité de la presse, que toutes les opinions s’expriment, même si la rentabilité n’était pas au rendez-vous. L’Etat finançait la différence. La majorité payait pour que s’expriment les minorités. Comparez la presse des années 1960 et celle d’aujourd’hui, vous comprendrez ce que je veux dire.

Tout ceci, Stéphane Hessel l’a vécu. Pourquoi attendre aujourd’hui, même pas pour s’indigner mais pour engager les autres à le faire ? C’est vrai qu’en tapant sur la table, on peut casser la vaisselle. C’est pas grave, ça fait de la place dans les placards. Il importe de ne pas sombrer dans la connivence. On dit volontiers que la diplomatie, c’est la poursuite de la guerre par d’autres moyens. Depuis l’ONU, la guerre est devenue la poursuite de la diplomatie par d’autres moyens. Pour faire simple, on tape quand on a fini de parler au lieu de parler après avoir frappé. Or, on n’a jamais fini de parler. Ça laisse du temps aux dictateurs. Ce qu’endurent les peuples ne compte pas. Voilà trente ans qu’on parle avec la junte birmane (y compris Kouchner). Le résultat est pitoyable.

Que tout ceci ne vous bloque pas l’indignation…..

On en reparlera…..

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