lundi 24 janvier 2011

ETRE PRIS POUR UN CON

En fait, j’aime bien être pris pour un con. Ça m’excite. Je me demande toujours jusqu’où ils vont oser aller. Et je ne suis jamais déçu. Ils vont toujours plus loin que j’avais imaginé.

Prends mon boulanger. C’est un boulanger tendance. Le genre qui n’hésite pas à afficher qu’il travaille avec un « designer en pâtisserie ». Tu sais ce que c’est, toi, un designer en pâtisserie ? Tu m’expliqueras. Mon boulanger, il prend pas de commandes. Il te propose des gâteaux « en édition limitée ». Edition ! Le mec, il sort du pétrin pour entrer dans la culture. Il est en bonne compagnie avec un ministre qui va se faire peler le jonc en Thaïlande à l’âge où Malraux était dans la Sierra de Teruel. Faut dire aussi que les éditions limitées, ça existe plus dans l’édition. Normal qu’on les retrouve dans la boulange.

Mon boulanger, il a fait peindre par un autre designer une phrase sublime où il explique pourquoi il est bon. Ça commence comme ça : « Avec mon meunier, installé en plein cœur de la Beauce… ». Mon meunier ! Ça t’évoque Daudet, le moulin de Maître Cornille, la farine artisanale, le vent qui meut les ailes pour moudre doucement la farine. Le « meunier », on le connaît, il lui fournit ses sacs à pain, y’a le nom dessus. C’est une minoterie industrielle, pas une petite, un gros machin à 1,5 millions d’euro de capital. Pas con d’ailleurs : leur newsletter s’appelle « Lettre de mon moulin ». Tu vois bien que Daudet est pas loin !
C’est vrai qu’il est installé en plein cœur de la Beauce. Dans une zone industrielle de la banlieue de Chartres. « En plein cœur de la Beauce », ça t’évoque les blés qui ondulent, le paysan avec sa faux sur l’épaule. Pas vraiment une zone industrielle, mais, bon, y’a pas mensonge sur la localisation géographique.

Dans la phrase, rien n’est faux stricto sensu. C’est juste de la com’ avec la référence obligée aux fruits de saison, référence qui ne gêne pas le quidam qui achète en janvier un gâteau délicatement décoré avec des framboises dont je ne savais pas que l’hiver était la saison. Références aux œufs frais, aux gousses de vanille et au lait qu’on imagine crémeux. Après, si t’es casse-couilles, tu vas regarder la couleur des gâteaux. Ça flashe, avec des verts acidulés et des roses de Cadillac repeinte. Des couleurs que j’ai jamais vues dans la nature, mais j’imagine que les colorants sont certifiés comme il convient. Et choisis par le designer en pâtisserie.

Si tu crois tout ça, alors t’es prêt à tout croire, les conneries des hommes politiques et les à-peu-près du journal télévisé. Si t’acceptes tout ça, t’es prêt à tout accepter. Moi, ça me met en transes. C’est pour ça qu’en général, c’est ma femme qui achète le pain.

Remarque, on est en bonne compagnie chez ce boulanger. C’est là que j’ai compris que Christophe Alévêque était un grand humoriste, un de ceux qui n’oublient pas les fondamentaux. Un matin pluvieux, l’artiste chaussé de bottes de qualité, s’est payé un gadin de première avec sa baguette sous le bras. On sait, depuis Bergson, que la chute est l’un des premiers ingrédients du rire. Pourtant, personne n’a ri. Je veux dire que personne ne s’est moqué. Intérieurement, je n’en jurerais pas. Le comique était rouge de confusion ce qui aurait suffi à me le rendre sympathique si je ne l’avais pas déjà apprécié. Faudra réfléchir sur ce fait : le gadin fait rire à la télé et rend honteux dans la vraie vie.

Pourtant, je me suis posé une question : lui qui sait décoder avec pertinence les discours politiques s’interroge t-il sur le discours du boulanger ? Ou bien, comme moi, va t-il là parce que c’est le plus proche et qu’y a pas de raisons de se compliquer la vie ? A moins que nous ne soyons en présence d’une division du métier de comique, d’une spécialisation à outrance. Les boulangers, c’est le registre de Chevallier et Laspallès avec leur sketch hilarant sur les maîtres-boulangers.

Pourtant, je ne suis pas loin de croire que nous nageons là en pleine politique. Ce sont les mêmes mécanismes qui sont à l’œuvre, l’utilisation délirante de l’à-peu-près, la communication qui glisse sans cesse vers le mensonge, la poétique du marketing. Le meunier en pleine Beauce m’évoque irrésistiblement les tomates provençales produites en Chine ( voir http://rchabaud.blogspot.com/2010/10/le-cabanon-de-gentelle.html ).

Bof, il me reste Dutronc : on nous cache tout, on nous dit rien….

On en reparlera….

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