mercredi 13 octobre 2010

BRAS DE FER OU BRAS D'HONNEUR ?

C’est un truc récurrent depuis des années. L’utilisation politique du Nobel. On en a eu maints exemples durant la guerre froide. Le Nobel de Littérature donné à Pasternak, par exemple. Il avait la réputation de s’opposer. Alors on l’a honoré. Comme Soljenytsine un peu plus tard. On a aussi honoré Cholokhov qui, lui, était un quasi auteur officiel, histoire de maintenir la balance. Sans oublier Gao Xingjian, nobélisé pour ses positions politiques plus que pour ses qualités littéraires.

Liu Xiabo rentre dans la catégorie. L’Occident considère qu’attirer l’attention sur un individu par le Nobel le protège en focalisant l’attention sur lui. Et c’est censé affaiblir le pouvoir en place. On a fait le coup avec Sakharov ou Chirine Ebadi. Qui se souvient de Chirine Ebadi sept ans après ? Et sa nomination a t’elle tant soit peu affaibli le pouvoir iranien ?

Les Chinois, on leur a déjà fait le coup, il y a vingt ans, en offrant le Nobel de la Paix au Dalaï-Lama. En 1989. Juste après les événements de Tian An Men. Résultat ? Des discours, des réactions, tout le monde s’est répandu dans la presse. Dans la presse occidentale, je veux dire. Et en Chine ? Rien. La situation n’a pas varié d’un iota.

Quand on fait de la politique, en principe, c’est pour agir sur le monde, pour le faire bouger. Si rien ne change, autant aller au bistrot. Et voyez-vous, c’est curieux, mais avec certains pays, rien ne change. Le Prix Nobel de Aung San Suu Kyi a t’il desserré l’étau de la junte en Birmanie ? Pour elle, peut-être, grâce à son exposition médiatique. Pour le citoyen birman, sûrement pas. Or, a priori, c’est le citoyen de base qui compte.

Les pays politiquement forts (on dit totalitaires, pour faire simple) connaissent la musique. Ils savent que ça dure le temps d’un déjeuner de soleil. Plein d’articles, plein de communiqués. Au pire, ça dure jusqu’au prochain Prix Nobel. Après, on passe à autre chose. Pendant quelques semaines, ou quelques mois, le monde entier a l’impression de se livrer à un bras de fer avec les forces du Mal. Après quoi, il a droit à un bras d’honneur.

J’ai un exemple sous les yeux. Un copain, dirigeant d’un grand groupe. Zélateur du Dalaï Lama. Il pétitionne à tour de bras. Et même, il transfère ses pétitions avec son IPod fabriqué en Chine. Et il bosse avec la Chine. Il signe plein de contrats. Il n’a toujours pas compris que ses pétitions, tout le monde s’en fout. Ce qui compte, c’est les dollars que rapportent son IPod et ses contrats. Il n’est pas le seul. Lui et ses copains se justifient en affirmant que, commercer avec la Chine c’est aider à l’ouverture de la Chine, à son enrichissement et donc à sa libéralisation.

Rhétorique. Depuis trente ans, la Chine s’enrichit et ne se libéralise pas. Demandez donc à Danone ou à Google. Ou aux Tibétains. Ils sont vachement contents d’être soutenus par nos pétitions, les Tibétains, quand l’armée chinoise remet de l’ordre à Lhasa. Ça leur met du baume au cœur. Ils peuvent toujours brandir des portraits du Dalaï-Lama nobélisé, ça calme pas vraiment le jeu. Les régimes forts, ils savent un truc, et un seul : ils sont forts. Et c’est leur mesure : la force.


Nous, on se donne bonne conscience… C’est important. Pas efficace, mais important. A nos yeux. Après tout, on voit avec nos yeux. Et on ajoute la kyrielle des justifications. On fait ce qu’on peut. Non. On fait ce qu’on a envie de faire. On voit ce qu’on a envie de voir.

Le naïf, il va te balancer l’exemple de l’URSS. T’as vu ? Ils se croyaient forts et ils se sont effondrés. D’abord, pour des effondrés, je les trouve assez costauds. Mais c’est pas le sujet. Qui peut croire, un seul instant, que les Chinois n’ont pas analysé, décortiqué, la chute du soviétisme ? Qui peut croire un seul instant qu’ils vont faire les mêmes conneries ? D’ailleurs, ils ont pris la voie contraire : ils ont refusé la confrontation. Une analyse simple leur montrait que la confrontation n’était pas possible. Pas assez riches, pas assez évolués. Avant de se battre, il faut affaiblir l’adversaire. Lui pomper son fric. C’est en assez bonne voie, je trouve.

Sur la Toile, ce Prix Nobel suscite des palanquées de commentaires. Un thème récurrent : ça va pas durer, le peuple chinois va renverser ses dirigeants. D’ailleurs, y’a des révoltes partout. Vieille rengaine. Si un problème a été étudié en Chine et par tous les sinologues sérieux, c’est celui des révoltes sporadiques en Chine. On disait « jacqueries », vu que c’était un peuple de paysans et que les paysans n’ont pas le droit d’être révolutionnaires. Jacqueries, c’est des révoltes de ploucs. C’est moins grave sur le plan de la connotation. Et puis, ça plaisait aux maoïstes qui pensaient que la paysannerie peut être le fer de lance d’une révolution.

Donc, on a étudié. Des révoltes (ou des jacqueries, ne jouons pas sur les mots), il y en a eu des milliers. Des petites. Des grosses. Des très grosses comme les Taïpings que les communistes chinois ont étudié sous toutes les coutures. Le pouvoir central chinois, il est habitué. Il a toujours géré. Un coup on calme avec des cadeaux, un coup on calme avec des bâtons. Oui, disent les sinologues officiels, mais la Chine est vaste, difficile à contrôler. Exact. Mais ça vaut pour le revers de la médaille. La Chine est vaste, difficile d’y créer une révolution générale, de lier les mouvements du Sichuan et du Guangdong. Le gouvernement central, il a pas besoin de diviser pour régner. L’espace crée les conditions de la division. Toujours la géographie. Le seul lien, c’est la bureaucratie. Céleste, disait Balasz. Communiste aujourd’hui.

On rêve. On rêve que quelques intellectuels disséminés au sein d’un ensemble grand comme dix-huit fois la France vont entrainer la Chine dans le concert des démocraties. On rêve qu’Internet permettra la communication entre eux, servira à faire monter la mayonnaise. Sauf qu’Internet, c’est virtuel. Et qu’en Chine, Internet, c’est l’Etat. Demandez à Google, ils ont payé pour savoir.

Envoyons donc des messages à Liu Xaobo. Ça nous fera plaisir. Pas à lui, vu qu’il ne les lira pas.

On en reparlera….

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